« Les dirigeants qui disposent d’un bagage philosophique ont un supplément d’âme. Ils ont plus de densité que les autres, affirme Xavier Tandonnet, fondateur d’Aperlead chasseurs d’étoiles, cabinet de conseil en recrutement, approche directe et management de transition. Leur réflexion est plus aboutie, leurs réponses plus structurées, leur capacité à débattre plus grande, et leurs réactions plus appropriées. » C’est pourquoi, il a dirigé pendant plusieurs années avec sa collaboratrice Albane Pinoteau, consultante RH, l’ouvrage Supplément philosophique à l’intention des managers*, publié aux éditions Eyrolles en juin 2024. Leur but ? Mettre la philosophie au service du management en la rendant accessible à toutes et tous.
1. La prudence
Premièrement, il s’agit de manier la prudence lors de prises de décision. Souvent, faire preuve de prudence semble contre-intuitif, tant cette attitude est associée à un manque d’audace, voire à une incapacité à prendre des risques. Dans beaucoup d’esprits, la prudence serait une « vertu de la retenue dans l’agir » pour éviter des problèmes. Elle serait la face raisonnable de la peur. Or, « la prudence n’est pas antinomique, ni incompatible, avec de grandes et franches décisions« , insistent les auteurs. Elle peut être une vertu de l’action, lorsqu’elle est faite dans la plénitude de sa potentialité et de sa radicalité éventuelle.
Concrètement : le manager prudent sait distinguer le bon but à atteindre en sélectionnant les bons moyens pour y parvenir. Elle lui permettra également de comprendre un principe général d’action, à travers un cas singulier raté, et ainsi de ne pas réitérer l’erreur commise dans une série de cas similaires.
2. La cohérence
Ensuite, la cohérence permet d’unifier les actions. Si pendant des décennies, la quête des managers a été orientée par une recherche d’optimisation des organisations, répondre à cet enjeu unique ne suffit plus. La tendance porte également sur le bien-être au travail. Ces derniers doivent donc répondre au double objectif, parfois contradictoire, de concilier aspects financier et social. Les dirigeants peuvent feindre la résolution de cette tension par une stratégie de communication habile, mais ils seront vite démasqués par leurs collaborateurs. Cette cohérence sous-tend de disposer de deux qualités principales.
Concrètement : le manager cohérent doit incarner la vision prônée. L’engagement des salariés, et leur implication dans l’entreprise, dépendra de la capacité du manager à penser son action dans une vision partagée du bien commun. Cette incarnation exige ainsi de la cohérence personnelle. « Celui qui ne sait pas se gouverner lui-même ne pourra pas gouverner les autres« , peut-on lire dans le livre. La cohérence, c’est le lien entre la parole et les actes. Mais, c’est aussi la vision qui se dégage des actes de management. Cette vision s’exprime par des exigences managériales qui se manifestent dans des choix, dans l’appréciation d’un projet ou encore la manière de l’évaluer : « Est-ce négligeable, important, essentiel ou sacré ? » Ce barème d’évaluation est en corrélation avec la véritable échelle des valeurs personnelles.
Concrètement : le manager cohérent doit également être exemplaire. Son exposition, venant de sa visibilité fonctionnelle, le contraint à tenir compte de ce qu’il donne à penser. A noter toutefois que l’exemplarité n’est pas la perfection. Il doit simplement être un exemple de ce qu’il professe ; un exemplaire personnel de ses convictions. Certains managers cherchent à insuffler, à travers leurs discours, un management vertueux, mais donnent l’exemple inverse dans leurs comportements. « Cette incohérence fragilise gravement la légitimité et l’efficience managériale, ainsi que l’implication durable des salariés. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’imperfection du manager peut-être une occasion de révéler son exemplarité. Si un manager reconnaît son manque de prévoyance, une réaction trop vive, un propos injuste ou maladroit, il fait preuve d’exemplarité par son humilité. C’est une attitude fondatrice d’un leadership vertueux. L’humilité permet d’obtenir l’indulgence de ses collaborateurs« , expliquent-ils.
3. Le courage
Par ailleurs, le courage permet de braver les tempêtes, de rendre possible l’impossible. Le courage ne se décrète pas ; il s’éprouve en situation réelle. Aussi, il n’existe que dans ses preuves et conditionne de nombreuses autres vertus managériales. Il est notamment au cœur de toute action responsable. En cela, son absence rend caduque toute forme de responsabilité. Et ce, peu importe le niveau de responsabilité de l’individu : « Il repose autant sur de grandes décisions qui engagent la vie du groupe, que sur le nombre d’actes banals qui façonnent le sens de l’action collective« , soulignent les auteurs.
Concrètement : le manager courageux est actif. Il prend l’initiative ou la responsabilité là où d’autres en sont dépourvus et/ou sont passifs. La volonté, le défi ou encore l’inconfort sont des dynamiques du courage. Contrairement à l’attente, l’évitement, la procrastination, ou le confort qui le détruisent en l’anesthésiant peu à peu. Dans les faits, le courage tant désiré se heurte à la congestion procédurale, à une pensée managériale unique, un cadre exempt de toute intelligence situationnelle et de marges de manœuvre. En entreprise notamment, le courage, surtout intempestif, est apprécié avec précaution. Il peut faire peur, tant il rompt les habitudes, ouvre de nouvelles perspectives. Le courage recherché est donc à géométrie variable, car il doit obéir à un cadre normatif qui définit les limites de son expression.
Plus largement, le courage est mis à rude épreuve au sein de la société actuelle. Toute proposition, action ou décision est soumise au feu permanent de l’information et/ou au jugement de l’opinion publique. Le courage contemporain s’exprime lors de cette confrontation avec les évènements qui comportent leur lot de contradictions, d’immédiateté et de conformisme. Le manager courageux est donc celui qui aura aussi la capacité à garder un cap clair malgré les tumultes du monde. Cette capacité dépendra de ses ressources personnelles. Les actes humbles de courage, comme la fidélité à son employeur, sont aussi remarquables dans le monde actuel que les actions d’éclat visant à le transformer radicalement.
4. L’authenticité
L’authenticité dans le management, quant à elle, est de plus en plus plébiscitée. Etre authentique, c’est la capacité à se montrer tel qu’on est, sans se soucier de l’opinion des autres. Cela demande d’avoir une certaine confiance en soi. Cette sincérité permet de fédérer, de motiver et de fidéliser les équipes. Que ce soit dans les discours véhiculés au sein d’une entreprise, ou dans les relations professionnelles, notamment auprès des jeunes actifs. Contrairement à leurs aînés, ils ne souhaitent plus se conformer aux rôles sociaux préconçus, dans lesquels ils ne se sentent pas alignés avec leurs valeurs et/ou convictions. Sous peine de quitter l’entreprise.
Concrètement : le manager authentique est celui qui tisse au fil du temps un lien de confiance avec ses collaborateurs, en instaurant un dialogue franc, constructif et régulier, excluant toute fausse promesse.
5. La raison d’être
Enfin, la raison d’être de l’entreprise est au cœur des préoccupations. De l’affaire du dirigeant déchu Carlos Ghosn à la crise environnementale, en passant par le mouvement planétaire #MeeToo, l’entreprise s’est retrouvée au fil des années à devoir réfléchir sur son rôle au sein de la société. La crise du Covid-19 a amplifié cette réflexion sociétale et éthique au sein des organisations. Celles-ci doivent désormais répondre à une quête de sens par la société civile. Leur essence et leur finalité ne peuvent plus être qu’économiques. Antoine Riboud, le fondateur de Danone avait énoncé, il y a quelques années déjà, que « la croissance ne devait plus être une fin en soi, mais un outil qui, sans jamais nuire à la vie, devra la servir« .
Concrètement : le manager doit se saisir pleinement de cette raison d’être. Ce n’est pas parce qu’il travaille pour une entreprise vertueuse que cela signifie qu’il est exemplaire avec ses équipes. Il doit, là encore, l’incarner au quotidien auprès de ses collaborateurs. « Il n’y a pas d’éthique en entreprise, il n’y a que des preuves d’éthique. C’est la mélodie d’une éthique de l’action qu’il faut faire entendre en entreprise« , peut-on lire dans les dernières pages de Supplément philosophique à l’intention des managers.
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La codirectrice de ce projet littéraire, Albane Pinoteau, rappelle que « les étudiants américains, y compris dans le business, ont une appétence particulière pour les humanités. Car, ces disciplines, en particulier la philosophie, permet d’acquérir une profonde vision réaliste de la nature humaine, et certainement un peu de maturité intellectuelle. Elle permet d’identifier et de comprendre les causes d’un phénomène pour mieux en appréhender les effets, et ainsi les réguler. L’objectif étant la connaissance et la sagesse, tout en évitant la récurrence d’un problème. Plus généralement, la philosophie est une médecine de l’âme. »