En matière de responsabilité sociale des employeurs, de qualité de vie au travail et d’innovations managériales, le partage de bonnes pratiques est toujours le bienvenu, les tendances dépassant les frontières entre secteurs d’activités. Bien que souvent précédée d’une mauvaise réputation, la restauration présente d’intéressantes initiatives novatrices. Pas de recette miracle mais un assemblage d’ingrédients que huit chefs engagés, précurseurs, voire visionnaires, servent sur un plateau aux managers.
Thierry Marx – Sur Mesure, restaurant 2 étoiles du palace Mandarin Oriental, à Paris.
« Pour moi, la base consiste à être dur avec les faits, bienveillant avec les gens. C’est de l’honnêteté pure. Quand vous devez trancher à propos d’une décision, vous n’êtes pas obligé d’être un bourreau ni de chercher un bouc émissaire. Si vous dites à quelqu’un que le travail ne convient pas, que la solution n’a pas été trouvée, ce n’est pas l’insulter. Il faut agir ensemble pour améliorer les choses et arriver à une solution : c’est ça, la bienveillance. Si l’on s’est trompé sur un recrutement, c’est une faute, mais elle est partagée et non à incomber à une seule personne. D’ailleurs, je ne souhaite plus parler d’erreur car je pense que ce n’est pas un terme adapté. L’intérêt n’est pas de pointer l’erreur, mais d’en faire l’analyse causale : qu’est ce qui s’est passé ? Et comment améliorer l’expérience client. De même, savoir qui a fait l’erreur, ce n’est pas tout de suite l’importance. Trouver des solutions plutôt que de chercher des coupables : il s’agit de management inclusif qui permet aux gens de se libérer dans l’entreprise et d’y être heureux. »
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Gaby Benicio et Amélie Darvas – Äponem, restaurant 1 étoile à Vailhan, dans l’Hérault.
« A bas les petits pouvoirs ! C’est le problème de l’humanité tout entière… Il faut avoir confiance en chaque personne et rééquilibrer les rapports en responsabilisant les membres de l’équipe. Tout le monde est important, il n’y a pas de petites mains : si notre plongeuse n’est pas là, c’est la catastrophe. Donc nous-mêmes et nos cinq collaboratrices – notre staff étant 100 % féminin – nous sommes toutes payées pareil : cela permet de casser les petits pouvoirs, très nuisibles et contre-productifs. Äponem est un laboratoire, nous faisons des essais et nous nous remettons en question. Comment, en tant qu’humanistes convaincues, être bonnes patronnes ? Comment organiser les relations entre employeurs et salariés sans une structure trop verticale ? Nous sommes adeptes de l’horizontalité. »
Julia Sedefdjian – Baieta, restaurant 1 étoile à Paris.
« Il faut toujours essayer de se mettre à la place de ses collaborateurs. Souvent, on ignore les trois quarts de leur parcours et de leur vie, personnelle en particulier. Or, on ne peut pas fermer les yeux et mettre tout le monde dans le même panier ! Grâce à l’humain, on fait la différence. Ainsi, passer dix minutes à discuter avec un membre de l’équipe peut déclencher un déclic qui change tout et qui va améliorer la situation. Faire preuve de patience donne de belles surprises. Comme un stagiaire dont on disait qu’il ne serait plus là dans deux semaines et finalement il est resté… C’est grâce à la communication que ça a marché. Je lui ai dit : « saisi ta chance ! » Mieux vaut ne jamais oublier que si l’on est arrivé à des postes de responsabilité, c’est qu’on nous a fait confiance, à un moment. Donc il est nécessaire d’en faire autant par la suite, d’accorder de la confiance à son tour et de savoir déléguer. »
Florent Ladeyn – Auberge du Vert Mont, restaurant 1 étoile à Boeschepe, dans le Nord.
« Je suis persuadé qu’il faut donner avant de recevoir. J’ai pu le constater en instauration, il y a deux ans environ, la semaine de quatre jours avec maintien de salaire : à présent, on ne veut plus retourner en arrière, c’est devenu normal, ce n’est pas un cadeau octroyé aux équipes. Je ne l’ai pas fait pour jouer au Père Noël mais pour limiter le turn-over. Aujourd’hui, les employés sont plus efficaces et heureux. Traiter les autres comme on aimerait être traité, c’est du bon sens ! Avec trois jours de repos hebdomadaires, dont deux fixes, les semaines sont plus intenses : au lieu d’être à 90 % sur cinq journées, on se donne à 110 % sur quatre. Comme le 3e jour de congé tourne, cela signifie que, de manière quotidienne, quelqu’un revient avec une énergie nouvelle, des histoires à raconter : je ne l’avais pas prévu et cela donne une ambiance plus légère. La contrepartie, c’est qu’il faut beaucoup plus de communication écrite et orale qu’auparavant. Mais j’ai la chance d’apprendre en permanence et de pouvoir transmettre. »
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Sébastien Bras – Le Suquet, restaurant 2 étoiles à Laguiole, dans l’Aveyron.
« L’exemplarité est très importante : la parole enseigne, l’exemple entraîne. J’essaie de m’y tenir en tant que manager. Cependant, je trouve ce dernier terme formel et froid. Je cherche à y apporter une autre dimension que celle purement managériale. Je veux respecter mes équipes, les accompagner et partager avec elles le plateau de l’Aubrac, où je suis né, mon histoire et ce qui m’arrime ici. Je veux que les clients comme les employés saisonniers, qui viennent dans notre établissement aveyronnais du printemps à l’automne, repartent avec un souvenir qui va largement au-delà de l’expression culinaire et passe par les usages et les paysages de ce territoire classé parc naturel régional. Mais aussi par les producteurs et les coutumes que je défends. »
Camille Pailleau et Diego Delbecq – Rozó, restaurant 1 étoile à Marcq-en-Barœul, près de Lille.
« Pour parvenir à recruter, compte tenu des contraintes économiques d’une petite structure, il faut avancer sur le bien-être des collaborateurs, à défaut de pouvoir leur proposer des salaires élevés. Et puis il est indispensable d’améliorer les conditions de travail dans notre secteur qui a une mauvaise image, même si ça commence à changer. Donc nous faisons en sorte que nos salariés soient heureux chez nous. En guise de reconnaissance, nous les récompensons par des primes quand c’est possible mais surtout par deux jours et demi de congés hebdomadaires depuis le début de l’année. Comme nous voulons que les membres de notre équipe se sentent impliqués, nous les consultons pour leur demander avis et suggestions. C’est une bonne manière de les valoriser et de les fidéliser au maximum afin d’éviter le turn-over qui nous prend du temps et de l’énergie, puisqu’il nécessite de former en permanence les nouveaux arrivés. »
Éric Guérin – La Mare aux Oiseaux, restaurant 1 étoile à Saint-Joachim, près de Saint-Nazaire.
« Il est indispensable d’être à l’écoute quand on fixe la ligne de conduite. Il y a quinze ans, j’ai donné des libertés à mon sommelier car il le souhaitait et il est toujours resté fidèle à l’établissement depuis. Donc il faut parfois accepter de sortir du cadre, voire de revenir sur une décision dans l’intérêt des équipes, parce qu’on les a entendues. Ainsi, en tant que chef d’entreprise, j’ai failli faire une erreur de casting pour un poste à haute responsabilité : je ne m’étais pas rendu compte que la personne à l’essai était sournoise, qu’elle ne respectait pas les autres, en particulier les jeunes et les apprentis. Ces derniers m’ont alerté quand je les ai consultés et ils se sont sentis valorisés parce que j’ai pris en compte leur avis. Heureusement, je n’ai pas confirmé cette embauche dont on aurait tous pâti. »
Sarah Chailan, directrice d’exploitation – La Bastide de Moustiers, restaurant 1 étoile à Moustiers-Sainte-Marie, près des gorges du Verdon.
« Mon principal conseil, c’est aimer ses collaborateurs et les accompagner à travers l’écoute. J’ai adoré le livre « Le Leadership de l’amour », d’Emmanuel Toniutti. J’estime qu’il faut accueillir avec un grand A ses équipes et c’est le rôle des managers de transmettre pour qu’elles donnent en retour. Un autre livre, « L’enchantement du client », écrit par Alexandre Dubarry, est également très intéressant. L’auteur est le fondateur du cabinet « Quatre Épices », qui nous a dispensé une formation, à la demande de Monsieur Ducasse [NDLR : le chef Alain Ducasse a ouvert la Bastide de Moustiers dans les Alpes-de-Haute-Provence, confiant les cuisines à Adrien de Crignis et la direction du restaurant et de la sommellerie à Mathieu Bloyet, à gauche sur la photo]. Cette formation a permis de renforcer la cohésion d’équipe et de faire un parallèle entre l’expérience client et celle du collaborateur, ce dernier devant aussi être enchanté par son travail et s’y sentir bien. »
Pour compléter la lecture de cet article, retrouvez l’intégralité du dossier Tendance « Management : les recettes inspirantes des chefs » dans le numéro de mai-juin 2023 du magazine Courrier Cadres.