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Maurice Béjart, ou la dissidence créative

Fidèle à l’image d’exigence et de dureté véhiculée par la danse, Maurice Béjart était un travailleur acharné et ambivalent dans son besoin de solitude mêlé au plaisir de l’émulation créatrice. Portrait du manager.

La disparition du chorégraphe Maurice Béjart, le 22 novembre 2007, a profondément marqué les esprits du milieu de la danse mais aussi du grand public. Depuis cet événement, de nombreux hommages et reportages en France ont été consacrés à l’artiste qui a laissé derrière lui plusieurs pièces restées des classiques au répertoire contemporain tout en apportant une vision nouvelle de la danse. Pourtant, Maurice Béjart, né à Marseille, a mené toute sa carrière hors de nos frontières, pas bien loin en Belgique et en Suisse, mais la France ne l’a jamais réellement soutenu. “Peu de journalistes français sont venus ici à Lausanne pour s’intéresser au travail de Maurice”, confiait Marie-Thérèse Jaccard, sa secrétaire dans le documentaire Une vie, une œuvre, Maurice Béjart, diffusé sur France Culture en 2010. Une situation qui a laissé chez le chorégraphe un sentiment de chagrin mais qui lui a aussi permis de s’émanciper loin des regards critiques de ses pairs. “Il était peut-être le mouton noir de la France”, résume Marie-Thérèse Jaccard.

Le mal aimé

Le documentaire de France Culture nous laisse entrer dans le bureau de Maurice Béjart où, avec ses bouddhas et statues africaines, tout est resté intact. Le journaliste interpelle Marie-Thérèse Jaccard sur un écriteau posé sur le bureau du chorégraphe, indiquant : “Dire oui à Maurice et lui rester fidèle”. “Travailler pour Maurice Béjart était-ce un sacerdoce ?, interroge-t-il. Non, répond-elle, gênée. Comment dire… nous avons tous les défauts de nos qualités et les qualités de nos défauts”. Une caractéristique reconnue chez Maurice Béjart envoyé à la danse sur prescription médicale car jugé trop chétif et qui loin des physiques traditionnels des danseurs classiques a su se faire une place sur les plus grandes scènes mondiales. En 1955, son premier succès s’intitule, Symphonie pour un homme seul, sur la musique de Pierre Henry et Pierre Schaeffer, et le met en scène tel qu’en lui-même.

“Il y compense sa petite taille et son manque de virtuosité classique par des sauts, des acrobaties et du mordant, analyse Rosita Boisseau, spécialiste de danse contemporaine dans un article publié dans Le Monde. Très vite, Maurice Béjart impose son style, fait de ses défauts des qualités pour bâtir une œuvre contrastée et prolifique.

Imposer son style fait partie des marques de fabrique du chorégraphe. Pourtant, le metteur en scène du Boléro de Ravel ou encore du Sacre du Printemps a passé sa vie à s’inspirer et s’enrichir des idées des autres. “Il écoutait beaucoup ses collaborateurs et essayait de saisir tout ce qu’il se passait dans le studio, explique la danseuse Élisabet Ros. Il s’enrichissait des idées des autres”. Son assistante assure que Maurice Béjart était constamment entouré de ses danseurs et déjeunait même avec eux à la cantine.

Passionné de travail

Car comme de nombreux artistes, il vivait par le prisme de son travail, de sa passion pour la danse. “Une fois, il nous a dit qu’il n’aimait pas les vacances, qu’il s’ennuyait. Qu’il n’avait qu’une envie, c’était de retourner au studio”, témoigne Élisabet Ros. Elle ajoute que Maurice Béjart était toujours en train de réfléchir sur une nouvelle idée. “L’absence de travail l’angoissait terriblement.” Une dévotion qui ne l’empêchait pas d’avoir un regard critique sur ses créations. “Chez Béjart, il y a de tout, le meilleur comme le pire, estime le journaliste Jean-Pierre Pastori. Il admettait lui-même que son travail pouvait être inégal. Que certains ballets étaient faits pour durer, et que d’autres étaient faits pour passer.” Travailleur acharné, Maurice Béjart était un grand admirateur de Nietzsche et de Baudelaire.

Il lisait beaucoup et se préparait avant de venir au studio, témoigne Gil Roman, son successeur à la direction du Béjart Ballet de Lausanne (BBL). Il mêlait cette lourde préparation du sujet à une certaine disponibilité d’esprit dans le studio pour être ouvert à tout ce qui pouvait s’y passer. Les choses se créaient et se précisaient au fur et à mesure.

Il travaille sur le moment”, poursuit Marcel Schüpbach, auteur du documentaire B comme Béjart. Ce dernier se souvient que Maurice Béjart venait en studio avec deux ou trois thèmes notés sur un papier comme lumière, solitude, rose et avait aussi choisi des musiques à l’avance. Le chorégraphe faisait les choses sur le moment avec les danseurs qu’il avait en face de lui.

Chef de troupe

Il est également connu pour être l’un des seuls chorégraphes qui a toujours vécu avec sa compagnie. “Maurice, c’est Molière, assure Gil Roman. C’est le chef de troupe. C’est lui qui fédère, qui était tout le temps là. (…) C’était le moteur de la compagnie. Il aimait ses danseurs, même si parfois il y avait des conflits, c’est la vie d’un groupe”. Comme dans la plupart des compagnies, les bagarres et conflits pouvaient survenir autour du chorégraphe, mais cela ne semblait pas le déstabiliser. “Maurice était fasciné par la nouveauté, il aimait que la compagnie vive, tourne, que des gens partent et d’autres arrivent, explique Gil Roman. Chaque fois qu’une nouvelle personne entrait dans le groupe, pour lui c’était une nouvelle donnée. Il aimait ce mouvement autour de lui”. Personnage perçu comme lunatique et parfois colérique par ses plus proches collaborateurs Maurice Béjart était aussi présenté comme tellement impliqué dans son travail qu’il en arrivait à ne même plus voir les autres évoluer autour de lui.

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