Management

André Comte-Sponville : « Tous les salariés désirent un salaire, mais l’argent n’a jamais suffi à motiver quiconque »

Cet article est issu du dossier "Philosophie : changez de regard sur le monde du travail !"

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Comment entretenir la motivation au travail ? Découvrez l'éclairage du philosophe André Comte-Sponville, auteur des livres "Le plaisir de penser" (Vuibert) 
et "La clé des champs et autres impromptus" (Puf).

La motivation, c’est un désir, mais très singulier : d’abord parce qu’il pousse à agir ; ensuite parce que c’est un désir utile ; enfin, et peut-être surtout, parce que c’est un désir qui porte sur quelque chose qu’on ne désirerait pas spontanément, voire sur quelque chose qu’on préférerait éviter. C’est donc un désir profondément paradoxal. Quand le plaisir et l’amour sont spontanément là, on ne parle pas de motivation. Alors qu’on parle de motivation quand il s’agit de suivre un régime alimentaire contraignant, d’arrêter de fumer, de faire du sport, de travailler ! Cela en dit long sur le travail… On préférerait être rentier ou en vacances, et il faut travailler, ce qui suppose une espèce de conversion du désir : non vers le plus immédiatement agréable, mais vers le plus nécessaire, le plus utile, le plus efficace ou le plus intéressant.

Je dis souvent qu’un dirigeant d’entreprise c’est un professionnel du désir de l’autre : professionnel du désir de ses clients (c’est ce qu’on appelle le marketing), professionnel du désir de ses collaborateurs (le management). Mais ce dernier est plus difficile. Ce qu’on propose à ses clients, c’est du plaisir ; ce qu’on demande à ses collaborateurs, ce sont des efforts. Ainsi, nul ne peut créer le désir de personne. Mais une fois qu’un désir est là, au moins potentiellement, on peut le réveiller ou l’entretenir, et surtout le rendre utile ou utilisable.

Par exemple, tous les salariés désirent un salaire, mais l’argent n’a jamais suffi à motiver quiconque. Il faut donc autre chose. Quoi ? Quelque chose que l’on désire, mais qui n’entre pas dans le salaire : de meilleures conditions de travail, une meilleure ambiance, davantage de convivialité, le sentiment d’une plus grand utilité sociale (fabriquer des cigarettes ou fabriquer de médicaments, ce n’est pas la même chose), le sentiment de participer à une aventure collective exaltante, de travailler en harmonie avec ses valeurs morales personnelles (notamment pour tout ce qui concerne la RSE), davantage de respect, de reconnaissance, notamment de la part du management, le sentiment de progresser soi-même davantage, de s’épanouir plus et mieux.

Enfin, et pour résumer, la conviction qu’on est plus heureux en travaillant dans cette entreprise-là qu’on ne le serait en travaillant dans une autre, au point, dans le meilleur des cas, qu’on se réjouit de faire ce métier-là, dans cette entreprise-là, avec ces gens-là. C’est la pierre de touche du management réussi : quand des gens prennent plaisir au travail qu’ils font et quand ils aiment le travail qu’ils font, donc sont heureux de le faire.

Crédit photo : JOEL SAGET.

Découvrez l’intégralité de notre dossier « Changez de regard sur votre travail » avec les regards croisés de plusieurs philosophes dont Fabrice Midal, Julia de Funès, Elsa Godart, Laura Lange, Frédéric Lenoir… : http://www.courriercadres.com/boutique/numeros-a-l-unite

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