Quelle est l’ambition de votre ouvrage ?
Sylvain Lambert : Cela fait des années que l’on échange avec les dirigeants et les entreprises, à l’écoute de leurs difficultés et des tendances à l’œuvre. Avec ce livre qui délivre une vision, il s’agit d’interpeller et de s’adresser aux dirigeants et managers pour leur livrer les clés pour construire l’entreprise de demain. C’est pour cela que la deuxième partie du livre est plus opérationnelle et concrète, et consiste à lister des outils ou des priorités d’action pour avancer sur les sujets RSE.
Frédéric Petitbon : Les dirigeants ne veulent pas seulement des solutions ou du prêt-à-penser, ils veulent qu’on les aide à cheminer dans une réflexion complexe à prendre la mesure des impératifs de ces défis de transformation.
Pensez-vous que nous en sommes encore au stade de la sensibilisation générale aux urgences et enjeux de la RSE ?
SL : Les choses évoluent dans le bon sens. Notamment parce que les phénomènes naturels et sociaux sont vraiment devenus plus visibles, il est difficile d’échapper au changement climatique, aux enjeux sociaux et humains… Et à leurs impacts sur l’économie et les entreprises en général. Le Covid a également été un révélateur de la fragilité de l’humain face à la nature. D’où l’idée d’un changement de paradigme qu’il faut apprivoiser et comprendre. La masse de gens à convaincre a fortement réduit, et l’entreprise avance.
Émilie Bobin : Au-delà de la sensibilisation, il apparaît que beaucoup de dirigeants sont parfois un peu perdus face à l’ampleur des transformations à piloter. C’est notamment vis-à-vis de cela que nous mettons en avant, dans nos 6 clés d’action, la nécessité « Construire ensemble les règles du jeu du monde de demain ». Nous entrons dans une ère qui devra plus miser sur la co-construction entre pairs et en écosystème. C’est vraiment l’une des clés.
FB : Notre message consiste également à dire, qu’au-delà des petites initiatives positives que l’on peut mener facilement, comme le tri, il s’agit surtout d’interroger son impact global et son poids dans l’impact collectif. Et tout cela nécessite l’adaptation des modes de management. Ce qui est pyramidal ne passe plus, le contexte pousse pour un management plus ouvert, plus collaboratif.
Quelles sont les priorités pour engager l’entreprise sur une trajectoire plus responsable ?
SL : Si l’on s’adresse à un dirigeant, il y a d’abord la compréhension et l’acceptation des enjeux. Ensuite, il s’agit de s’interroger sur les moyens d’action, les façons de pousser ces sujets en entreprise. Et c’est là que la lecture de la performance des entreprises change complètement (Clé n°6 : Redéfinir la notion de performance). Depuis toujours, la lecture de la performance est assise sur des éléments financiers et comptables, qui vont rester importants, mais d’autres éléments vont s’imposer, vis-à-vis de la mesure de l’impact.
EB : C’est aussi important de comprendre que parmi les dirigeants et les managers, il y a des niveaux d’acceptabilité et de compréhension différents. Pour dépasser ces blocages, il faut notamment expliquer et rappeler que si vous rester en dehors de ces engagements et de ces enjeux, vous allez vous isoler et on ne viendra pas vous chercher. Là encore, la co-construction, le travail en écosystème et le partage de bonnes pratiques sont à encourager.
FP : Ce qui fait la différence en entreprise, c’est quand les collaborateurs voient le chemin et comprennent comment ils peuvent et veulent être acteurs. C’est-à-dire comment, dans ma business unit, je pense autrement à l’impact final de mes produits ? Comment je traduis l’inclusion dans mes comportements ? C’est pour cela qu’il est important que dirigeants et collaborateurs soient à la même page, et d’éviter de se limiter à des futilités comme « J’éteins la lumière en sortant de mon bureau ».
Que dire du greenwashing et des écueils à éviter ?
SL : Dire qu’il n’y a plus de greenwashing serait faux, il y aura toujours des abus, mais c’est devenu bien plus risqué et détectable. Il y a des ONG plus influentes, des médias plus compétents, des investisseurs plus sensibilisés, et des barrières légales, bien qu’on ne soit qu’au début du cadre réglementaire. Le vrai grand risque et la plus grande erreur, c’est de ne pas lier les choses ensemble, de ne pas avoir de vision stratégique ou de simplement limiter les enjeux à la contrainte réglementaire. Le monde se transforme, qu’on le veuille ou non.
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Comment se traduit cette idée de redéfinition de la performance ?
EB : Ce qui change, c’est d’abord la façon d’appréhender ces enjeux. Nous n’avons pas appris tout cela dans nos études, mais tout cela est de plus en plus intégré et de plus en plus tôt. On a aujourd’hui des cours ou des spécialités sur la durabilité et on intègre les enjeux de la gestion des ressources et de l’impact de nos activités sur l’environnement de manière transversale dans les différents cours classiques.
Pour interpeller et faire réagir les dirigeants, il faut parvenir à leur expliquer l’impact des transformations sur leur business et leur activité. Il y a une vraie menace financière. C’est toute la réflexion de notre clé n°6 sur la refonte de la notion de performance, pour parler d’une performance globale incluant les notions d’impact et de projection d’impact, et en finir avec l’idée de « performance extra-financière ».
FB : Il y a quelques années, quand on demandait aux dirigeants leur rôle pour le bien public, c’était encore timide. Aujourd’hui et demain, on met et mettra toujours plus en avant le rôle de l’entreprise et sa contribution à l’impact et à la réduction de cet impact, d’un point de vue business, social et managérial. Le point positif, c’est de voir la capacité des entreprises et des dirigeants assumer ce changement de paradigme.
Émilie Bobin est Associée Développement durable PwC, membre du conseil d’administration du Global Compact France.
Sylvain Lambert est Associé développement durable PwC France et Maghreb, cofondateur des activités de conseil en développement durable de PwC, vice- président de l’ORSE (observatoire de la responsabilité́ sociale de l’entreprise).
Frédéric Petitbon est Associé innovation managériale PwC, enseignant à Sciences Po et à l’IAE de Paris