Vous avez créé, en 2020, la direction Groupe des responsabilités humaines et sociétales. Pourquoi ce nom ?
Stéphane Dubois. Ce nom revêt une dimension un peu militante que j’assume. La société évolue beaucoup et l’entreprise doit prendre ses responsabilités face à ces évolutions. L’idée était donc de mettre en avant à la fois notre responsabilité humaine, qui est inhérente à la DRH, notre priorité n°1 restant l’employabilité de nos collaborateurs, mais aussi nos engagements sociétaux. L’entreprise a en effet la responsabilité de faire basculer les choses sur des sujets comme l’insertion professionnelle, le handicap ou encore la parité. Le temps où l’on s’intéressait au capital humain seulement comme une simple ressource interne, au même titre que les matières premières, est révolu.
Alors que le trafic aérien était à l’arrêt en 2020 pendant la crise du Covid, vous avez un signé un accord de transformation d’activité. Avec le recul, a-t-il porté ses fruits ?
S.D. Oui, car il s’agissait d’un accord très ambitieux avec une baisse de certaines composantes de rémunération pendant un an et demi et la mise en place de l’APLD (Activité partielle de longue durée) en partenariat avec le ministère du Travail. Nous avons été précurseurs dans cette démarche. De nombreuses entreprises ont opté pour des plans sociaux dès le début de la pandémie. Nous avons fait un choix différent en garantissant à l’ensemble de nos collaborateurs leur poste. A l’époque, face à la baisse d’activité, environ 12 000 personnes parmi nos salariés étaient à risque. Le rôle de l’entreprise était alors de garantir leur emploi. Il était aussi clé de préserver leurs compétences en vue de la sortie de crise. Nous avons ainsi évité à ce moment-là les difficultés de recrutement rencontrées par beaucoup d’entreprises qui n’avaient pas anticipé les départs concomitants à la retraite des Boomers. Les plans sociaux ont souvent entraîné une perte de savoir-faire que nous voulions à tout prix éviter.
Selon vous, quels sont aujourd’hui les enjeux clés pour la fonction RH ?
S.D. Le premier enjeu concerne la transformation digitale, avec la montée de l’intelligence artificielle. Cela demande de repenser le travail dans ses trois composantes majeures : l’organisation, la gouvernance et les compétences. Pour prendre un exemple dans l’industrie, certains outils de production sont capables de fonctionner 7 jours sur 7, 24 h sur 24. Progressivement, les agents de maîtrise et certains opérateurs vont donc pouvoir les piloter à distance. Cela amène à s’intéresser aux métiers de demain. Le rôle du DRH est d’anticiper leurs évolutions. Nous avons une plateforme qui s’appelle Skills qui permet à tous nos collaborateurs d’autoévaluer leurs compétences : celles qu’ils utilisent dans l’entreprise ou en dehors, et celles qu’ils ont acquises lors de leurs expériences passées. Grâce à l’intelligence artificielle, nous réalisons des matchings avec des offres de postes ou de formation et avec les mutations pressenties. Il est fondamental de s’y préparer pour ne pas les subir.
Pouvez-vous nous expliquer votre programme « We love intrapreneurs » ?
S.D. L’intrapreneuriat est une démarche volontaire qui permet aux collaborateurs du Groupe de devenir des « entrepreneurs internes ». Concrètement, il s’agit de mener un projet innovant de bout en bout apportant de la valeur ajoutée à l’entreprise et ses clients grâce à un accompagnement par des coachs internes et externes et en s’appuyant sur des méthodes agiles. Une vingtaine de projets ont émergé en trois ans. Et une première société va prendre son indépendance en sortant de l’incubateur : c’est une entreprise RH, dédiée à la formation digitalisée, composée de 5 collaborateurs. J’étais leur sponsor en interne, donc j’en suis très fier !
Concernant les sujets sociétaux, quelles sont vos priorités ?
S.D. Nous avons vraiment progressé ces dernières années dans la gestion de la parité. Un défi dans l’industrie car les écoles d’ingénieur forment encore un nombre trop limité de femmes (12 à 25 % de leurs effectifs en moyenne). Nous avons aujourd’hui 30 % de femmes dans tous nos Comex, contre 11 % il y a encore trois ans. Mais pour aborder cette question, nous avons choisi d’élargir notre approche à la parentalité dans sa globalité au travers d’un accord signé en juillet dernier. Avec la réforme des retraites, et donc l’allongement de la durée du travail, nous avons également signé un accord pour l’emploi des seniors avec des objectifs chiffrés. Nous souhaitons avoir un tiers de jeunes, un tiers de 35/50 ans et un tiers de seniors dans nos effectifs, sachant que nous recrutons 6 000 collaborateurs par an en France. Il est essentiel pour nous de préserver l’équilibre des âges. C’est la meilleure façon de transmettre les savoir-faire dans une entreprise de haute technologie comme la nôtre.
Quels seraient vos conseils pour réussir à embarquer les équipes lors d’un projet de transformation ?
S.D. Je pense que l’essentiel est d’avoir un projet d’entreprise fédérateur, qui rassemble et qui donne du sens au travail de chacun. Chaque collaborateur doit ainsi avoir conscience de son rôle, de sa contribution individuelle au projet collectif. Chez Safran, il s’agit de la décarbonisation de l’aviation, considérée comme la 4e révolution aéronautique. Le programme technologique RISE de développement d’un moteur 20 % plus efficace fonctionnant avec des carburants aériens durables en est le meilleur exemple. Ensuite, je crois beaucoup à la démonstration par la preuve. Nous sommes une entreprise frugale en termes de communication. Nous avons une culture d’ingénieurs, nous préférons parler lorsque nous pouvons montrer nos innovations. Je crois que c’est ce qui est la force de notre collectif et ce qui plaît à ce ceux qui nous rejoignent !
Crédit photo : Franck DUNOUAU.