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Intelligence artificielle et monde du travail : 5 idées reçues décryptées

En matière d’intelligence artificielle, les fantasmes et les peurs vont bon train. Voici 5 clichés analysés et les conseils de nos experts pour garder un peu de sérénité face à la révolution IA.

1° L’IA, c’est le monde de demain

Depuis des années, on parle de l’intelligence artificielle au futur. Cela fait pourtant longtemps que nous l’utilisons en entreprise, sans forcément le savoir. Invisible, intégrée dans les processus, les outils, l’IA “a déjà sacrément chamboulé le travail et la manière dont nous le faisons”, indique Laëtitia Vitaud, conférencière sur le futur du travail. Qui n’est pas sur LinkedIn, Facebook, Netflix, n’utilise pas Google ou encore les traductions automatiques ? Tous reposent sur de l’intelligence artificielle. “On a souvent placé le débat sur l’IA dans le futur, à distance, comme si on ne devait pas s’en préoccuper, regrette-t-elle. Une façon d’éviter les questions qu’elle pose sur la manière dont on utilise les données, les biais, les boîtes noires dont on ne voit pas le fonctionnement, le jeu de données qui entraîne le pillage du travail fait par d’autres et qu’on ne crédite pas…” Des questions aujourd’hui centrales, inévitables, à l’heure où l’IA devient accessible au plus grand nombre. ChatGPT ou encore Midjourney sont désormais utilisables par tous, y compris les plus jeunes et s’invitent au travail, à la maison, dans les universités. Pour Laëtitia Vitaud, “ces IA génératives nous invitent enfin à parler de l’IA au présent et à voir les grandes questions éthiques, légales, de droits d’auteurs, qu’elle pose”.

L’idée clé L’IA, c’est une déferlante qui n’est pas près de s’arrêter. Tous, nous avons intérêt à être bien informés et à nous former. “Quand une vague arrive, mieux vaut la surfer », estime Gaëlle Féchant Garnier, directrice de l’offre et de la pédagogie chez Unow. Pour elle, s’intéresser à l’IA est indispensable, qu’on l’utilise, ou pas : “Nos enfants sont déjà dessus, c’est bien de s’y mettre, de faire attention à ce qu’on lit à son sujet et de s’intéresser aux garde-fous à mettre en place”.

2° L’IA va me voler mon travail

Une nouvelle IA sort tous les jours. Face à cette course effrénée, la crainte est grande de voir des milliers de jobs disparaître au nom du profit. Difficile de rester sereins face à tous les possibles liés à l’IA. L’un de ses pionniers, Geoffrey Hinton, chercheur canadien spécialiste de l’intelligence artificielle à l’origine de la technologie servant à ChatGPT, a quitté Google en mai dernier pour conserver sa liberté de parole et pouvoir alerter sur les dangers de cette dernière. Mais à l’heure actuelle, si l’IA peut remplacer l’humain sur certaines tâches, il est bon de se rappeler qu’elle n’est pas humaine. Il s’agit uniquement d’un système prédictif statistique, sans émotions, valeurs, intuition, empathie… “L’IA et le tsunami de contenus qu’elle génère dans ce contexte d’infobésité démultiplié nous ramènent à des dimensions du travail longtemps négligées, qui relèvent du care comme prendre soin et soigner, analyse Laëtitia Vitaud, autrice du livre En finir avec la productivité (Payot). Nous sommes longtemps restés avec l’idée que ce qui compte, c’est l’expertise, le savoir, la capacité d’analyse ou rédactionnelle, ce que l’IA fait déjà bien depuis longtemps. Il est temps d’ajuster notre vision du travail et de nous concentrer sur nos capacités relationnelles, d’empathie, d’attention à l’autre…” Les métiers liés au soin de l’autre ont de beaux jours devant eux, en témoigne la vague actuelle de reconversions vers les métiers d’accompagnement et d’écoute.

L’idée clé Sommes-nous capables de concurrencer l’IA ? Face à elle, à tout ce qu’elle sait, à tout ce qu’elle peut faire, on peut en venir à douter de faire le poids. “Face à l’hyper-anxiété numérique liée à l’IA, il faut développer un égo numérique, explique Cécile Dejoux, professeur des universités au Cnam, directrice du Learning Lab Human Change, l’observatoire du futur du travail, des transformations managériales & RH, auteure de Ce sera l’IA ou et moi (Vuibert) et créatrice du Mooc « L’IA pour tous ». Il s’agit d’avoir confiance en nous, de connaître notre valeur en tant qu’humain, de savoir que c’est uniquement nous qui pouvons créer cette valeur.”

3° L’IA va déshumaniser le travail

Algorithmes qui conseillent des humains (par exemple à Pôle Emploi), outils d’IA qui rassemblent des équipes dans un monde virtuel, chatbots en guise de service clientèle… L’IA fait craindre une déshumanisation du travail et une perte du lien social. Mais plus on va utiliser l’outil IA, plus l’humain va devenir important. Jean-Noël Chaintreuil, stratégiste RH et fondateur de Change Factory, le confirme : “Plus je travaille à l’IA, plus je vois l’importance de l’empathie, de l’humanité dans les relations et de l’accompagnement dans un prisme collectif. On ne peut pas bien utiliser l’IA si on ne comprend pas l’empathie. L’empathie est ce qui nous permet d’avoir l’intuition de là où on veut aller”. Il peut s’agir par exemple, pour une entreprise, d’aller vers plus de diversité dans ses équipes, ce à quoi l’IA peut aider. Grâce à elle, on peut identifier pourquoi on recrute toujours le même type de personnes et affiner ses offres d’emploi. Et Jean-Noël Chaintreuil d’aller plus loin : “Le paradoxe, c’est que l’IA va nous permettre de remettre de l’humanité dans les relations ». En libérant notamment du temps au travail aux RH et aux managers pour qu’ils puissent se concentrer sur les relations humaines.

L’idée clé “Pas d’IA sans éthique, sans compréhension humaine, sans réflexion collective pour que tout le monde puisse participer”, pose Jean-Noël Chaintreuil. Et sans management par le care, qui devient à l’heure de l’IA, indispensable, renchérit Cécile Dejoux (voir 3e article) : “Plus l’IA redonnera du temps, plus il faudra créer de la valeur sur des choses que l’IA ne peut pas faire”.

4° L’IA est meilleure que moi

Classement, synthèse, script, scénarisation, mise en relation… “Sur ces tâches, l’IA est meilleure que nous, plus rapide. Dans ces domaines, elle ira toujours plus vite que nous, elle ne prend pas de week-end… Rien ne sert de s’épuiser, mieux vaut admettre qu’elle nous remplacera pour cela”, préconise Cécile Dejoux. En revanche, elle peut constituer une bonne alliée sur d’autres activités comme la gestion de projet, la curation de contenus… “En prendre conscience va nous aider à diminuer notre peur : il s’agit de nous concentrer sur ce qu’on va faire avec elle en nous formant pour l’utiliser. Elle peut nous aider à être plus efficace, rapide, nous ouvrir de nouvelles opportunités, poursuit Cécile Dejoux. Elle nous augmente aussi sur des tâches qu’on ne pourrait pas faire sans elle comme la traduction automatique ou l’indication de la solvabilité d’un client”. Mais attention, l’IA reste un outil, un assistant au quotidien, au service de la productivité. “Un bon stagiaire, dont il faut corriger, contrôler le travail. À aucun moment, il ne doit décider ou recruter seul”, insiste Jean-Noël Chaintreuil. Cécile Dejoux le rappelle : “Les IA génératives ne sont pas au point du tout. ChatGPT, c’est 60 % de bon et 40 % de faux !”

L’idée clé Oui, l’IA permet un vrai gain de productivité mais attention à ne pas lui prêter des pouvoirs magiques. “L’IA ne prend des décisions que grâce au jeu de données avec lequel elle a été nourrie, précise Laëtitia Vitaud. Ceux-ci sont eux-mêmes biaisés.” Pour prédire l’avenir, l’IA se base sur des données du passé. Par exemple, “si les 50 derniers recrutements réussis sur des profils de data scientists dans la finance ont été des hommes, l’IA va tirer comme conclusion qu’il y a plus chance qu’un profil similaire aboutisse à un recrutement dans le futur”. Et reproduire ainsi les biais du passé.

5° L’IA, c’est rapide et facile

Si l’intelligence artificielle fait gagner du temps, il y a cependant un prix à payer : cela demande beaucoup de temps pour apprendre à (bien) s’en servir. Beaucoup de temps pour expérimenter. “Il faut accepter aussi le coût de l’échec, avance Jean-Noël Chaintreuil. Parfois, cela ne marche pas. Il est important de s’entourer des bonnes personnes, d’écouter les universitaires (attention aux marchands de rêves qui promettent de grands gains financiers), de réfléchir sur l’éthique, la stratégie et la vision de l’entreprise”.

L’idée clé Utiliser l’IA pour l’IA ne sert à rien. “Peu importe les outils, seule compte la stratégie, lance Jean-Noël Chaintreuil. L’IA peut aider à réduire des points de friction mais il n’y a pas de raison d’y aller s’il n’y a pas de besoins pour ses collaborateurs, ses fournisseurs, ses clients.”

Quelques garde-fous face à l’IA

• Développer une culture algorithmique : quelles sont les données utilisées, où vont les données que je donne ?

• Savoir pourquoi on utilise l’IA : quel est mon objectif ?

• Ne pas faire une confiance aveugle à ce qui est produit : vérifier toutes les données, les sources, les croiser, un travail proche du travail journalistique.

• Ne pas donner d’informations confidentielles.

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