Ce vendredi 9 février, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) fête ses 50 ans. Cet établissement public, lancé en décembre 1973 sous la tutelle du ministère du Travail, a pour vocation de réaliser des missions de veille, d’étude et de diffusion d’informations, d’interventions en entreprise, de production d’outils et de méthodes ainsi que le déploiement de projets locaux visant à améliorer les conditions de travail des actifs français. Cet anniversaire est l’occasion de dresser un état des lieux avec Sylvie Peretti, Présidente de l’Anact, sur les avancées en la matière ainsi que les nouveaux défis à relever.
Pourriez-vous, tout d’abord, rappeler pourquoi les conditions de travail ont gagné en importance au sein des entreprises dans les années 1970 ?
Sylvie Peretti – L’Anact a été créée peu de temps après les fortes revendications sociales de mai 1968. Les étudiants, puis les acteurs du monde de l’entreprise, réclamaient une humanisation du travail. En parallèle, l’Etat français et les employeurs souhaitaient moderniser l’appareil productif pour gagner en compétitivité. L’Anact a été créée pour associer les salariés à ces changements et ainsi améliorer les conditions de travail. Les projets majeurs ont été : l’accompagnement des entreprises pour aménager le temps de travail en favorisant le dialogue sur l’organisation, les horaires, la durée du travail, les congés, etc. Plus tard, au début des années 2000, un autre sujet important s’impose : la reconnaissance et la prévention des troubles musculosquelettiques. A cette période, l’Anact a montré que les douleurs physiques ne dépendaient pas uniquement de la personne, mais étaient liées à la répétitivité de certaines tâches au travail et à l’organisation du travail en général. L’Anact a lors poussé le sujet au sein des entreprises, encore dubitatives à cette époque. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles sont très vigilantes.
CC – Si les risques physiques ont été pris en compte, qu’en est-il de la santé mentale ? C’est un enjeu crucial avec 2,5 millions* de salariés en burn-out sévère en 2022 (soit 34 % de la population active).
SP – Entre les crises qui se multiplient, le manque de perspective, les ruptures technologiques extrêmement rapides, il est très compliqué pour les salariés de s’adapter. Cela entraîne une forte charge mentale et de la pression qui peuvent conduire à des moments de fragilité. Les entreprises prennent ce sujet très au sérieux, car la hausse du niveau d’absentéisme a aussi des répercussions sur leur performance. A cela s’ajoute la crise de sens au travail : les salariés se demandent si ce qu’ils font est utile pour la société, si c’est en accord avec leurs valeurs, s’ils peuvent le faire dans de bonnes conditions, et enfin si eux-mêmes contribuent vraiment à faire évoluer le projet d’entreprise. Pour donner du sens au quotidien professionnel, la qualité managériale est désormais un facteur déterminant pour motiver et fidéliser les collaborateurs, surtout les jeunes générations qui ont moins de scrupule qu’avant à quitter une entreprise. A l’inverse, s’ils entretiennent une bonne relation avec leur manager, avec qui ils ont la possibilité d’échanger et et s’ils ont des marges de manœuvre pour améliorer ce qui dysfonctionne, alors ils se sentiront bien et resteront durablement.
CC – Quels sont désormais les nouveaux enjeux liés à l’amélioration des conditions de travail ?
SP- Les entreprises sont amenées à se réorganiser en permanence pour répondre aux exigences du marché et aux mutations sociétales. Cela entraîne de nouveaux modes de travail dont on ne mesure pas encore l’impact aujourd’hui : comme l’instauration du télétravail ou encore l’émergence de l’Intelligence Artificielle (IA). Le télétravail, par exemple, présente des avantages non négligeables, mais soulève de nombreuses interrogations sur son usage à long terme : isolement et démotivation des salariés, difficultés à gérer des équipes à distance pour le manager, perte financière et perte du collectif pour l’entreprise, ou encore baisse du coût de la main d’œuvre. Dans quelques années, est-ce que nous recruterons toujours une personne en France, si une autre personne tout aussi qualifiée peut le faire à distance d’un autre pays pour un revenu plus faible ? Côté IA, d’autres points sont également à surveiller car, si ce nouvel outil digital est capable d’assurer des tâches chronophages avec peu de valeur ajoutée à la place des individus, cela signifie que qu’il ne leur restera plus que les tâches complexes à accomplir. Le niveau d’exigence intellectuelle va donc augmenter. Ils devront être formés pour atteindre ces nouveaux objectifs.
Autre futur grand enjeu : la place des seniors dans les organisations. Entre l’allongement de l’espérance de vie, le vieillissement de la population française et le report de l’âge de départ à la retraite, nous allons devoir changer le regard que nous portons sur cette catégorie d’actifs et réfléchir à comment les faire continuer à travailler dans de bonnes conditions. Il faudra, par exemple, des postes allégés sur le plan des pénibilités physiques avec des possibilités d’évoluer et de se former jusqu’à la fin de leur parcours professionnel. Pour cela, il est important, comme nous le faisons depuis 50 ans, de dialoguer en permanence avec les différents acteurs du monde du travail afin de trouver collectivement des solutions. Dans le monde de demain, toutes les générations devront trouver leur place sur le marché du travail.
*Etude menée par Empreinte Humaine et Opinionway auprès de 2016 salariés du 20 au 30 juin 2022. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région de résidence, taille, secteur de l’entreprise, répartition secteur privé et public.