En 1949, Simone De Beauvoir incitait les femmes à s’émanciper par le travail, tandis que Gisèle Halimi ne cessait de répéter que l’indépendance économique était la clef de leur libération. En 2024, c’est chose faite : la majorité des femmes, dont 85 % sont en couple, travaillent ! D’après Antoine De Gabrielli, auteur du livre S’émanciper à deux (éditions du Rocher), cette situation pose de nouveaux défis : d’un côté les femmes ont très souvent la double charge mentale de la vie privée et du travail à assumer ; de l’autre les hommes investissent beaucoup leur vie professionnelle, au détriment de leur vie privée et en souffrent pour certains. Face à ce constat, « les deux membres du couple sont perdants, seul le système économique est gagnant », note Antoine De Gabrielli, expert de la mixité et de l’égalité dans le monde du travail.
Ce problème s’accentue lorsque les travailleurs en couple deviennent parents. Consciemment ou inconsciemment, ils retombent dans les rôles sexués traditionnels et leur interdépendance se renforce : « Ils se mettent à fonctionner comme des vases communicants : dès que l’un travaille plus, l’autre travaille moins pour s’occuper des enfants, explique l’auteur, en précisant que les mères se retrouvent à travailler une heure et demi en moins en moyenne par jour. Elles travaillent tout autant, mais doivent être ponctuelles et efficaces pour partir à heure fixe. Elles ratent des occasions de réseauter en fin de journée par exemple. » Encore aujourd’hui, il est vrai que les femmes réalisent deux fois plus de travail non rémunéré que les hommes, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). Le modèle de travail actuel, impliquant d’être disponible et mobile, défavorise les femmes.
L’entreprise est égoïste
Conséquence ? « La complémentarité entre conjoints du monde ancien, qui a fait place à une recherche d’égalité, peut donner lieu à une compétition à l’intérieur même des couples : les disponibilités professionnelles et familiales de chacun s’opposent dans une épuisante course contre le temps, qui conduit par la force des choses à des confrontations », indique Antoine de Gabrielli. Car, « c’est mathématiques : pour que les femmes travaillent plus, il faut que les hommes travaillent moins, sinon qui pour garder les enfants ? Un robot ? », interroge-t-il, perplexe.
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Comment mieux concilier travail et vie de parents ?
Antoine De Gabrielli suggère ainsi aux hommes d’investir davantage leur vie privée au profit de la carrière de leur femme. Cette heure et demi journalière pourrait être plus régulièrement, voire de manière systématique, divisée en deux (45 minutes pour la femme, 45 minutes pour l’homme). Il y aurait alors moins de discrimination envers les femmes dans la sphère professionnelle. « L’entreprise est égoïste : elle se fiche que ce soit l’homme ou la femme, elle veut le membre du couple qui travaille le plus », dit-il.
Lorsque le couple doit déménager dans le cadre d’une mobilité professionnelle, ou bien prendre un congé maternité ou paternité lors de l’arrivée d’un ou plusieurs enfants, le même dilemme économique se pose : « La prise de décision ne se fait pas en fonction du sexe du parent, mais en fonction de celui qui gagne le plus d’argent. L’idée est que le couple survive économiquement. Cependant, bien souvent, ce sont les hommes qui occupent les postes à responsabilités et donc qui ont les plus hauts salaires. »
Trouver un terrain d’entente
Aussi, pour que les deux membres du couple s’épanouissent dans leur vie commune et dans leur carrière respective, ils devront apprendre à communiquer sur leurs envies et leur priorités afin de « trouver une voie d’émancipation et de soutien à la vocation de chacun. » Les conjoints peuvent, par exemple, décider d’échanger les périodes où la carrière professionnelle de l’un prend le dessus sur celle de l’autre, décider de partager un projet professionnel, ou bien simplement répartir les tâches domestiques et familiales.
« Si les tâches sont bien réparties, les deux membres du couple seront tout aussi performants au travail. On pense souvent à l’homme et la femme séparément, au lieu de penser au couple dans sa globalité. Ce qu’il faut changer, ce ne sont pas les hommes ou les femmes, c’est le mode de travail actuel ainsi que l’organisation de nos sociétés avec, par exemple, plus de places en crèches, termine l’auteur. Aucun travail ne mérite la rupture, surtout quand le sens au travail est faible ou socialement surévalué. »
A noter que si les femmes ont eu besoin du développement économique pour gagner en liberté et en autonomie ces soixante-dix dernières années, l’économie a tout autant besoin d’elles. La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a déclaré en juillet 2023 que si les femmes accédaient à l’emploi dans les mêmes conditions que les hommes, l’Union européenne (UE) compterait près de dix millions de salariés supplémentaires ainsi qu’une augmentation du PIB de 10 % d’ici à 2050.