20 000. C’est le nombre de selfies postés chaque mois sur les réseaux sociaux et illustrés par la marque de champagne Moët & Chandon. Si elle y est souvent accompagnée d’autres griffes, les consommateurs l’associent parfois à des éléments symboliques en contradiction avec l’image historiquement portée par la marque, comme du RedBull par exemple… Par Joonas Rokka, professeur de marketing à l’EM Lyon Business School.
Par ce type d’association ou de téléscopage, les nouvelles formes de pratiques visuelles, en particulier le selfie, déstabilisent les marques, tiraillées entre la tentation du tout contrôle et le risque du lâcher prise. Malgré la prise en compte de l’impact des réseaux sociaux sur les processus de co-création d’image de marque avec leurs clients, les experts en marketing se concentrent trop souvent sur la dimension textuelle du dialogue en ligne avec le consommateur. Mais hormis la présence des hashtags, c’est le visuel qui domine les selfies. La plupart des marques ne prend pas assez en compte le rôle puissant de ces éléments visuels dans la narration. À leur décharge, les outils manquent encore pour aborder la question du visuel, matériau si vaste et difficile à interpréter qu’il rend leur tâche d’autant plus difficile.
Distorsions
La première et fastidieuse étape consiste en la collecte et l’étude d’un corpus de visuels associés à la marque. Créés par les internautes et les comptes de la marque, ils donnent, à qui sait les lire, un éclairage sur les distorsions et incohérences stylistiques entre l’image officielle et celle produite par les internautes. Dans le cas du champagne pour reprendre notre exemple, les visuels de bouteilles, coupes et bulles apparaissent aussi fréquemment dans les selfies que sur les images de marque. C’est la présence généralisée de corps et de visages sur les selfies qui modifie en profondeur le ressenti et atténue le caractère d’exclusivité de la marque.
Procéder à cette analyse (texte et image) approfondie permet de définir des tendances, d’identifier les thèmes porteurs pour accompagner cette forme d’expression plutôt que la subir. Les marques peuvent toujours jouer un rôle déterminant dans la production créative d’images en s’appuyant sur le phénomène de mimétisme à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Au delà, le véritable enjeu pour les marques est de ne plus chercher à tout contrôler. Elles doivent accepter plus de diversité et de souplesse dans les expressions et les interprétations qui leur sont associées. Une marque comme GoPro en est un bon exemple. Pour ses communications officielles, elle s’appuie sur des créations visuelles des consommateurs. Pour garder un écho sur les réseaux sociaux, les marques vont devoir suivre cet exemple en acceptant de céder le contrôle, du moins bien davantage…
L’auteur
Joonas Rokka est professeur associé en marketing et responsable du Centre de Recherche Lifestyle de l’EM Lyon. Ses travaux de recherche portent sur les stratégies de marque, l’expérience et la culture des consommateurs, les médias numériques et les méthodes de recherche visuelles créatives.