Travail
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Non, le mot « travail » n’a pas pour origine « tripalium », un instrument de torture !

Le terme "travail" est ambivalent, selon Mariette Darrigrand, sémiologue et autrice de "L'atelier du tripalium". Mais une chose est sûre : il n'a pas pour origine "torture". L'experte du langage met en lumière ses différentes interprétations - souvent oubliées dans l'Histoire.

C’est à la fois un sujet central et extrêmement sensible. Si le travail est au cœur de la vie des individus du XXIème siècle, il n’en est pas moins ambivalent. Certains en ont une vision positive en parlant de « sens au travail », de « qualité de vie au travail » ou encore « d’équilibre entre vie personnelle et professionnelle », quand d’autres le condamnent. C’est le cas lors d’accidents de travail entraînant des maladies et des décès. Ou encore lors de manifestations, comme celles contre la réforme des retraites en 2023. « Il était insupportable pour certaines personnes d’envisager travailler deux années de plus, parfois au détriment de leur santé », rappelle Mariette Darrigrand, sémiologue spécialisée dans le langage médiatique.

Le terme viendrait de « trabail »

Egalement autrice de L’atelier du tripalium (publié en mai 2024 aux Editions Equateurs), Mariette Darrigrand n’entend pas trancher entre les bienfaits supposés du travail et les critiques formulées contre son caractère asservissant. Toutefois, elle tient à rétablir la vérité sur ce qui pourrait bien être « la fake news du siècle, plaisante-t-elle. Longtemps, nous pensions que le terme « travail » venait de « tripalium », qui était un instrument de torture au VIème siècle. Depuis, nous l’associons à une tâche laborieuse, pénible. Or, en réalité, le mot « travail » vient de « trabail », qui était une machine en bois accrochée à l’arrière du cheval dans le but de soutenir l’effort produit par le travailleur », relate la sémiologue.

Approches culturelles différentes

Actuellement, les approches du travail diffèrent grandement en fonction des cultures. De l’autre côté de l’Atlantique, la culture américaine, par exemple, a deux équivalents pour évoquer la notion de travail : « work » ou « labor ». L’origine latine de ce second terme signifie « élan vital, pulsion de vie, indispensable pour se nourrir et donc survivre », souligne l’autrice. Les Américains valorisent donc le « hard work ».

La comparaison des récits médiatiques nationaux pour évoquer la découverte scientifique de l’américaine Katalin Kariko, et celle de la française Emmanuelle Charpentier, est le parfait exemple de cette différence. Pour la première scientifique, cette découverte serait l’aboutissement d’un « voyage », d’une « odyssée », le résultat d’une « envergure mentale pour ne pas se décourager ». Tandis que pour la deuxième, ce serait un « don ». Une femme « érigée au rang de génie. » Une scientifique « marchant dans les pas de Marie Curie, comme touchée par la grâce de sa brillante ancêtre », poursuit la sémiologue. Aux Etats-Unis, le travail est une activité de longue haleine, alors qu’en France, « il est difficile d’envisager le travail sans une dimension créative, voire artistique. »

Vocation et transcendance

Tout au long de son ouvrage, Mariette Darrigrand propose ainsi différentes conceptions du travail, dont « certaines ont été oubliées au cours de l’Histoire », regrette-t-elle. Elle rappelle, par exemple, que chez les Grecs la notion de travail n’existait même pas. Appelé « Erga » (« un ensemble de gestes »), le rapport au travail était avant tout énergétique. C’était « une propagation de gestes (…) qui s’enchaînaient comme par magie sous l’effet de la puissance des dieux », écrit-elle. Autrement dit, la morale fondamentale n’était pas de respecter la valeur travail, très plébiscitée par les hommes politiques modernes, mais simplement de prendre du plaisir en imitant les dieux. Comme le font les enfants quand ils sont jeunes avec les parents.

Cette énergie justement, circulerait moins – voire plus du tout – au sein des entreprises contemporaines « malades qui rendraient les salariés malades », note l’autrice. Ce serait notamment la raison pour laquelle les jeunes générations aborderaient le travail encore différemment de leurs prédécesseurs. « La question du travail ne peut désormais plus s’envisager en dehors du cadre aspirationnel et transcendant. La transcendance prend le pas sur la souffrance prônée par les protestants du XVIème siècle. Et la vocation sur la formation. Bien sûr, tous les emplois ne sont pas vocationnels. Mais ils ont de plus en plus l’ambition de se penser comme une réponse à un appel de sens, ou encore au désir de contribuer à « bettering the world », comme le disent les Américains, soit à « rendre le monde meilleur » », termine-t-elle.

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