Management

Dépasser les barrières hiérarchiques : les vertus des conversations stratégiques

En entreprise, il n’est pas rare d’observer une réticence à exprimer son avis, même à haut niveau. Or, cette omerta n’est pas sans conséquence : les décisions parfois stratégiques peuvent être erronées, nourrissant les frustrations internes. Les conversations stratégiques proposent de remettre du dialogue entre les managers et leurs équipes en faisant fi des statuts, des positions ou des grades.

Aurait-on pu éviter des périls connus d’entreprise à l’instar de Kodak ? Comment expliquer les choix stratégiques ? « Des travaux de l’université Harvard dévoilent que 95 % des causes d’échec de projets seraient connues dès le départ, seulement, elles n’avaient pas été exprimées ! », explique Christian Darvogne, créateur des premières conversations stratégiques en France et associé au sein du cabinet de conseil Co.Devenir. Ainsi, les échecs seraient le résultat d’un silence collectif – forcé ou inconscient – malgré une connaissance tacite des risques. Le paradoxe d’Abilène qui a été défini par le sociologue Jerry Harvey en 1974 démontre comment les membres d’une équipe peuvent consentir à une proposition contraire à leurs convictions, préférant opter pour une décision sous-optimale plutôt que de défendre ouvertement leurs opinions. Face à ces impasses organisationnelles et relationnelles, les conversations stratégiques, en tant qu’espace de réflexion collective où les barrières hiérarchiques ou fonctionnelles sont temporairement suspendues pendant quelques heures, offriraient-elles une alternative ? 

Conversations stratégiques : origines et utilisation   

« L’essor de cette approche prend racine aux États-Unis, il y a une dizaine d’années, au sein des universités de Stanford et Harvard qui ouvrent la voie à un management où le dialogue est plus libre, avec des décisions moins concentrées sur une autorité », raconte Christian Darvogne. Cette vague est concomitante avec l’émergence du leadership partagé, succédant au leadership transformationnel, qui remet en cause le modèle hiérarchique traditionnel. « Dans ce sillage, certains grands patrons français ont commencé à importer des méthodes d’intelligence collective et à les tester. Leur enjeu était de pouvoir embarquer le collectif autour de leur stratégie afin de la concrétiser », ajoute Emmanuel Lavergne, fondateur de Co.Devenir. Néanmoins, les conversations stratégiques ne sont pas un énième outil de résolution de problèmes : « C’est une méthode adaptée aux “pages blanches”, aux questionnements stratégiques, à des moments charnières pour l’entreprise », insiste Christian Darvogne.

Une méthodologie rodée pour libérer la parole  

Les conversations stratégiques reposent sur un processus rhétorique : les sujets sont préalablement sélectionnés avec l’équipe dirigeante en fonction de leur pertinence. Puis, chaque discussion est orchestrée par l’un des membres du CODIR. « Une session de dialogue dure 90 minutes avec 6 à 8 managers ou collaborateurs invités à la table de chaque leader. Les échanges sont suivis d’un temps récapitulatif pendant lequel chaque représentant du CODIR formalise et priorise les thèmes soulevés selon des critères tels que la faisabilité, la valeur économique, l’impact pour les collaborateurs ou les clients… Ensuite, ils vont pitcher leur restitution devant le COMEX », explique Emmanuel Lavergne. Les idées jugées les plus pertinentes ont vocation à devenir des projets internes pilotés par les participants. BNPP, Michelin, Harmonie Mutuelle, Naval Group ont déjà expérimenté cette méthode de questionnement collaborative. « Les managers y trouvent une écoute nouvelle, y puisent une audace qui devient une source d’engagement […] C’est une forme de parler-vrai au service du bien commun », ajoute Emmanuel Lavergne. 

Coaching, communication libre et sécurité psychologique : 3 facteurs de réussite

Afin de créer des dialogues fructueux, quelques conditions doivent être réunies : « Nous préparons les membres du CODIR à la fois sur le fond et la forme afin qu’ils puissent mener sereinement les conversations. Nous mettons à leur disposition des outils pour leur permettre d’expliciter un sujet clairement et pour guider l’échange autour de quelques questions structurantes. Mais surtout, ils sont préparés à se mettre dans une posture d’écoute attentive. Ce qui n’est pas forcément naturel », explique Sandra Rocquet, sociologue chercheuse et directrice associée au sein de Co.devenir. Ce prérequis est le nerf de l’échange car il exhorte les managers à sortir des postures statutaires.  

Face à eux, les collaborateurs ou managers invités à échanger : « Il faut des tables de discussion variées pour permettre de questionner l’établi sans forcément être un expert. Au contraire : on cherche à écouter les “ingénus” pour créer de l’innovation. Pour cela, il est essentiel que les personnes conviées se sentent autorisées à s’exprimer », poursuit la sociologue. Ceci implique une culture garantissant la sécurité psychologique afin que les conditions favorisent le respect, l’écoute et l’exercice de la liberté de chacun.

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