Management

« Il faut dépasser le CV, recruter des personnalités et plus juste des profils »

Dans un monde du travail en mutation face aux nouvelles technologies et aux nouvelles aspirations des candidats, les modèles de recrutement existants font-ils encore l’affaire ? Selon Isabelle Bastide, présidente du cabinet de recrutement spécialisé PageGroup (Michael Page, Page Personnel, Page Executive et Page Outsourcing), il est urgent de « réinventer » le recrutement.

 

Qu’est-ce qui ne fonctionne plus avec les modèles de recrutement actuels ?

En tant qu’observatrice et actrice du recrutement, il était essentiel pour moi de partager ma vision et mon analyse des évolutions du marché de l’emploi et des transformations à venir, dans l’entreprise et dans le recrutement. Et essayer d’expliquer pourquoi il faut essayer d’avoir une vraie stratégie de recrutement ; car je suis convaincue que l’on ne recrutera plus jamais comme avant. Sans quoi il sera très difficile de capter les candidats et surtout, de les retenir.

Certaines entreprises n’ont toujours pas compris que l’on ne pouvait pas recruter uniquement sur le CV. Jusqu’à récemment, on était axé sur le profil et le diplôme, comme gages de réussite. Mais aujourd’hui, ça ne suffit plus. Après un recrutement, de plus en plus souvent, on voit en effet que l’intégration du salarié (à l’équipe, au poste, aux missions, aux valeurs) ne se passe pas toujours comme on le souhaite, et qu’il peut y avoir un vrai fossé entre l’expérience que l’on peut avoir dans son parcours professionnel et la réalité de l’entreprise dans laquelle on entre.

Car les aspirations des candidats, ainsi que leur rapport au travail ont évolué, en parallèle des nouvelles technologies : ils sont nombreux à ne plus chercher seulement un salaire et la stabilité, mais aussi du sens, un projet d’entreprise enrichissant, des engagements sociaux, et un environnement de travail adapté et agréable. Les plus jeunes sont prêtes à s’investir, mais surtout pas au détriment de leur vie personnelle.

 

L’idée est donc de s’intéresser davantage aux « soft skills »…

La majorité des organisations recrutent encore aujourd’hui sur CV – cela reste utile, mais il ne faut pas se limiter à l’expérience professionnelle, et regarder aussi ce que le candidat va pouvoir apporter dans le futur, sa personnalité et ses motivations. Le comportement du futur salarié va-t-il correspondre à notre structure ? Ses valeurs correspondent-elles à celles de l’entreprise ? Et inversement, le projet de l’organisation correspond-il aux attentes du candidat ?

Il faut désormais être capable d’élaborer une vraie stratégie de recrutement, d’approche et d’évaluation, en fonction des profils que l’on recherche. On ne recrute pas un ingénieur comme on recrute une infirmière du travail. Il faut aussi jauger la motivation du candidat, lors de l’entretien. Les missions que l’on souhaiterait lui proposer sont-elles en lien avec ce qu’il recherche, au-delà du poste, sur le plan de l’environnement de travail ? Ses soft skills, ses compétences humaines et relationnelles, sont-elles compatibles avec l’équipe ?

L’idée est de mettre le candidat en situation à travers des scénarios donnés, via des jeux sérieux ou des tests, afin de savoir comment il pourrait réagir dans telle ou telle situation, et pourquoi. Le savoir-être prend déjà aujourd’hui une part beaucoup plus importante en entretien que les compétences techniques. Les soft skills sont les seules compétences qui demain ne seront pas robotisées ; ce que nous faisons beaucoup dans ce domaine chez PageGroup, c’est de s’assurer que certaines capacités cognitives, comme la capacité à s’adapter, à apprendre, à traiter une information complexe, sont présentes chez le postulant. Car dans un marché qui évolue vite, avec des entreprises qui se transforment, il est primordial dès aujourd’hui et encore plus demain, d’évaluer la capacité d’adaptation et d’appendre ou désapprendre.

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Quelle place donner aux nouvelles technologies, notamment l’IA, pour évaluer les compétences et la personnalité ?

Afin de dépasser le CV, il est en effet possible d’utiliser le Big Data (les données que les cabinets de recrutement collectent, par exemple les CV, les comptes rendus d’entretiens, les résultats de tests) et des méthodes de sourcing et de profiling (similaires au e-commerce) qui font appel à l’intelligence artificielle, et qui permettent de dénicher des candidats dont le profil et le comportement sont intéressants.

Les recruteurs vont, de plus en plus, travailler avec des outils prédictifs. Des algorithmes permettent, dès aujourd’hui, d’identifier des corrélations et des parcours de réussite, ou de dresser un portrait du candidat mettant en avant ses compétences comportementales. L’idée est de les utiliser pour détecter de potentiels candidats, ou encore pour évaluer les correspondances entre les recherches d’un candidat et d’un employeur, en se basant sur des données disponibles.

Mais il faut faire très attention aux biais, car avec des algorithmes, il y a toujours un risque de discriminer des candidatures, en se basant sur des profils qui ont déjà fait leurs preuves dans l’entreprise et en reproduisant des modèles. Dans le sourcing, on ne pourra donc pas aller vers du 100 % automatisé. L’humain restera toujours essentiel dans le bon jugement. Simplement, le prédictif et l’IA sont de bons outils, quand ils sont bien utilisés, pour gagner du temps et faire émerger des profils atypiques.

L’idée est aussi d’utiliser les nouvelles technologies pour élargir la recherche de candidats. Afin d’ouvrir le champ du recrutement, l’approche est ainsi plus stratégique et méthodologique, en fonction des profils recherchés : on recherche notamment les candidats ailleurs que sur les sites d’offres d’emploi (jobboards), sur lesquels se trouvent les CV – par exemple, dans le cas de développeurs informatiques, on va venir directement à eux et se rendre sur des forums ou des blogs. Afin de savoir où se rendre, des outils algorithmiques permettent de « scanner » les sites Web et les réseaux sociaux, et de détecter de potentiels « talents » grâce à des indicateurs.

Finalement, il semble clair que le numérique et l’IA vont améliorer et amplifier les capacités humaines des recruteurs – en permettant d’automatiser des tâches à moindre valeur ajoutée, afin de permettre au recruteur de se recentrer sur son coeur de métier : la détection de talents.

 

Afin de transformer les méthodes de recrutement, quel est le rôle des RH ?

Les services de RH ont dans ce cadre la mission d’impulser le changement des mentalités et des compétences dans l’entreprise. L’enjeu pour eux sera ainsi d’accompagner les dirigeants et les managers, en effectuant un important travail de pédagogie afin qu’ils ne recrutent plus forcément quelqu’un qui leur ressemble (ce qui a tendance à les rassurer). Ils devront leur faire comprendre qu’il faut dépasser les compétences techniques et l’expérience, et s’ouvrir aux compétences comportementales.

Les RH sont finalement des conseillers avisés, mais aussi des vecteurs d’innovation, car ils permettent in fine à leurs entreprises de se transformer, dans un contexte d’évolutions technologiques, en s’assurant, notamment par la formation continue, que les collaborateurs eux-mêmes disposent des compétences clés (techniques et comportementales) pour s’adapter demain.

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