« Ne t’imagine pas que tu sois quelqu’un d’important », « Ne te mets jamais dans la tête que tu puisses être mieux que nous », ou encore, « Ne t’imagine pas que tu puisses nous apprendre quoi que ce soit ». Voici quelques préceptes tirés de la célèbre « Loi de Jante »*, intégrée par les Suédois dès l’enfance. Ce trait culturel, scrupuleusement respecté lorsqu’ils grandissent, empêche notamment l’émergence d’autocrates froids et distants à l’égard des collaborateurs dans les entreprises suédoises. Au contraire ! Il incite les dirigeants occupant de hauts postes hiérarchiques à se montrer proches de leurs équipes. L’autorité n’est alors plus nécessaire dans la sphère professionnelle : la pression du groupe suffit pour garantir l’auto-discipline des salariés. Ces préceptes induisent ainsi une prédisposition des individus à développer des stratégies collectives, sans pour autant que cela se fasse au détriment de leurs besoins individuels.
Force du collectif
Cette recherche permanente d’humilité rend, en effet, la cohésion d’équipe possible. « Nous valorisons les rapports de confiance et l’entraide. Si je dois m’absenter un matin ou partir plus tôt le soir, même au dernier moment, il me suffit d’en informer mes collègues sur un groupe de discussions en ligne pour qu’ils fassent preuve de compréhension et se réorganisent sans moi. Tout le monde peut exceptionnellement avoir des urgences à gérer », affirme Pierre-Édouard Roussel, salarié de la société suédoise, Axis Communications. Cette confiance permet, en cela, à chacun de se responsabiliser.
La dimension collective est également omniprésente lors de prises de décisions : « Tous les avis sont pris en compte. Certes, la prise de décision est plus longue, mais généralement, elle est meilleure grâce à l’intelligence collective, et fait l’objet d’une adhésion plus forte. Le codéveloppement de projets à travers cette approche managériale remontante est essentiel dans le management suédois », indique-t-il.
Respect des besoins individuels
Cette conception scandinave du management accorde également une place fondamentale à l’autonomie. « Nous laissons tout l’espace dont les salariés ont besoin pour qu’ils travaillent sereinement et puissent innover. Nous sommes aussi compréhensifs à l’égard de potentielles erreurs, ou de baisses passagères de performance. Parfois, des temps de ralentissements pour se ressourcer sont nécessaires, ce qui permet ensuite d’être deux fois plus efficace. Nous essayons d’être le plus respectueux possible des besoins individuels de chacun et chacune », complète Beatriz Estiguin Beitia, DRH de la société suédoise.
Afin d’aller plus loin sur cet enjeu de flexibilité – permettant notamment de concilier vie personnelle et professionnelle -, l’entreprise a instauré récemment un congé parental de 100 jours (en plus des délais traditionnels légaux) utilisables de manière non consécutive pendant les deux premières années qui suivent la naissance ou l’adoption d’un enfant. Prochaine ambition du groupe ? La mise en place d’un congé pour les salariés aidants lorsqu’ils s’occupent d’un parent vieillissant ou d’un proche malade. « La vie n’est pas linéaire. Elle est constituée de hauts et de bas. Certains moments de vie sont déterminants dans l’engagement professionnel des salariés. S’ils se sentent accompagnés par leur entreprise, ils continueront à s’investir et seront encore plus liés à elle. Sinon, ils partiront », prévient la DRH.
Les deux collaborateurs d’Axis Communications précisent, cependant, que « cette culture d’entreprise n’est pas adaptée à tout le monde. Les profils qui préfèrent un management plus directif, ou qui apprécient travailler de manière réactive, et voir les projets avancer rapidement, peuvent ne pas s’y retrouver ».
* La principale disposition de la Janteloven, du nom d’une bourgade fictive imaginée par l’écrivain dano-norvégien Aksel Sandemose (1899-1965), stipule qu’il ne faut pas se croire meilleur que son voisin. Son nom vient du roman Un fugitif recoupe ses traces (1933).