Carrière

Trouver son « sweet spot » : serait-ce la « réussite » des temps modernes ?

Accéder à la "réussite" professionnelle représente un enjeu important dans notre société. Cette notion s'est toutefois érodée ces dernières années pour laisser place à un nouveau rapport au succès. Dans son livre, "Les Inattendus" (Eyrolles), l'entrepreneuse N'Geur Sarr encourage à se réapproprier ce concept qui revêt de nombreuses formes. Explication.

« Quand on veut, on peut ! », « Yes, we can ! » Ces adages largement répandus sous-tendent que seules la volonté et la méritocratie permettraient d’atteindre les sommets. La société valorise une réussite liée au mérite, décorrélée de l’origine sociale, de la fortune, des attributs personnels ou des relations d’un individu, et ne dépendrait que de ses qualités intrinsèques, son labeur, ses aptitudes, ses compétences, et son intelligence. Dans son livre, ‘Les Inattendus, pour un autre vision de la réussite’, publié en mai 2024 (Eyrolles), N’Geur Sarr remet en cause cette vision simpliste de la réussite.

Les statistiques dépeignent, en effet, une réalité plus nuancée. Si les jeunes (18-23 ans) issus de milieux ouvriers représentent 30 % de la population française, ils ne constituent que 1 % des élèves à Polytechnique, selon l’Observatoire des inégalités, publié en avril 2021 ; tandis que les femmes représentent 52 % de la population, mais sont seulement 18 % à atteindre le poste le plus élevé parmi les 120 plus grandes entreprises, d’après le cabinet Ethics & Boards. Ces chiffres soulèvent, en cela, des interrogations : pourquoi certaines personnes arrivent-elles à lutter contre les déterminismes sociaux ? Et d’autres pas ? Quels critères définissent la réussite ? Ces derniers sont-ils souhaitables ? Enviables ? Avant de tenter d’y répondre et de définir la réussite, évoquons d’abord tout ce que la réussite n’est pas

pas que méritocratique

La réussite n’est pas que méritocratique, d’après l’autrice : « Lier le mérite à la quantité de travail, à l’effort et au talent est insidieux, car cela légitime un ordre social où le labeur acharné serait proportionnel à la réussite. Cette approche peut devenir culpabilisante et stigmatisante envers ceux qui ne réussissent pas, selon les critères sociétaux, en leur faisant croire qu’ils manquent de volonté et de détermination, et en renvoyant ces vaincus du système à leur seule responsabilité. »

pas une course effrénée

En conséquence, la réussite n’est pas non plus une course effrénée où le meilleur est celui qui en fait le plus et dort le moins. Car les risques physiques et psychiques, comme la survenue d’un burn-out, ne sont jamais bien loin. Dans son récit, l’entrepreneuse raconte justement en avoir fait les frais : « A 27 ans, je suis aux commandes du plus vaste projet jamais entrepris à l’international par le groupe Canal+, estimé à une centaine de million de dollars (…) Dans l’imaginaire collectif, la réussite signifie accomplir des objectifs valorisés dans la société, mesurés par l’ascension sociale, la reconnaissance, la prospérité financière, et l’épanouissement personnel. Il était indéniable que j’avais atteint un certain niveau de succès (…) En février 2020, six ans après avoir quitté la France pour démarrer ma carrière en Afrique, je quitte Addis-Abeba pour rentrer à Paris. Le verdict est tombé, c’est un burn-out. »

pas un exploit solitaire

Et si la réussite n’est pas méritocratique, c’est parce qu’elle n’est ni solitaire, ni complètement corrélée à la volonté individuelle : elle est, en réalité, le résultat de nombreux facteurs concomitants (contexte familial, accidents de la vie, découverte d’une passion, rencontres fortuites, opportunités chanceuses) qui vont jouer un rôle déterminant dans l’atteinte d’un objectif. « Ce que l’on oublie trop souvent, c’est que chaque individu est le produit de son environnement. Notre trajectoire est façonnée par notre entourage et par d’autres circonstances qui sont propres à notre expérience personnelle », indique N’Geur Sarr.

pas systématiquement visible

Dans son ouvrage, l’autrice interroge également le lien entre réussite et notoriété. La réussite est-elle forcément visible ? Non, selon elle ! Elle prend comme exemple la crise du Covid-19. En 2020, pendant les confinements répétés, dix millions de travailleurs ont continué à se rendre quotidiennement sur leur lieu de travail. Et ce, en dépit des risques sanitaires encourus. « Ce sont les travailleurs de l’ombre (…) qui ont été garants du fonctionnement des services les plus essentiels pour la société ». Même si la crise sanitaire est désormais derrière nous, ce phénomène a illustré que la réussite de chacun n’est qu’une somme des efforts fournis par tous. L’amiral Olivier Lajous indiquait que « toute organisation n’a de force que celle de son maillon le plus faible. »

pas une destination finale

La réussite n’est pas non plus une destination finale. Elle n’est jamais complètement atteinte, ni définitivement acquise, et ne prend pas nécessairement la forme imaginée au départ. Au contraire ! Même, une fois un long chemin parcouru, et de grands projets accomplis, c’est « un voyage d’auto-exploration, d’ajustements et de perpétuel renouveau » qui se poursuit, peut-on lire dans Les Inattendus.

pas une définition unique

Si la promesse initiale de cet article était de donner une définition précise de la réussite, vous l’aurez compris, la seule définition valable est celle que chacun souhaite lui donner. D’après N’Geur Sarr, ce n’est qu’un cheminement personnel vers son « sweet spot ». En d’autres termes, une « zone d’équilibre parfait entre divers paramètres. En affaires, par exemple, il représente la combinaison optimale propice au succès. Transposé à la sphère individuelle, le sweet spot désigne l’endroit où on se sent à sa place, en parfaite harmonie avec soi-même et où on déploie son potentiel de manière optimale. J’avais l’habitude de dire que le sweet spot est le croisement entre ce qu’on aime faire et ce qu’on sait faire, avant que Clara Gaymard (cofondatrice du fonds d’investissement Raise, ndlr) me donne une interprétation plus juste. Selon elle, c’est le croisement entre ce qu’on aime faire et ce qu’on ne sait pas encore faire. En somme, le sweet spot rassemble les critères qui correspondent à notre définition de la réussite à l’instant T et devient ainsi notre boussole. Cette nuance entre ce qu’on sait faire et ce qu’on ne sait pas encore faire est importante, car le chemin est dynamique et laisse une marge d’apprentissage et de progrès. C’est donc un ensemble de raisons d’être, de principes directeurs et de valeurs fondamentales, qui guident les actions et les décisions d’une personne », martèle l’autrice.

Dans cet ouvrage, l’ancienne ministre de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, très engagée sur les questions de diversité en entreprise, partage la sienne : « Une victoire ne se mesure pas en termes de richesse accumulée ou d’acclamations superficielles, mais plutôt en persévérance de l’esprit et en noblesse du cœur. » Comme elle, à chacun et chacune de dessiner les contours de sa propre réussite !

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