Si une entreprise refuse d’opérer dans un pays corrompu pour des raisons éthiques, sur le terrain, la situation est tout d’abord vécue comme une contrainte. Et dans le monde des affaires, la vertu n’est pas toujours récompensée.
Le sujet a fait grand bruit au cours de l’année 2016. En très peu de temps, le groupe franco-suisse, Lafarge-Holcim, qui a fusionné en 2015, s’est retrouvé au cœur de deux polémiques pour le moins embarrassantes. Le spécialiste européen du béton a en effet reconnu, dans un communiqué officiel, avoir directement financé des groupes armés, dont l’État Islamique (EI) en Syrie entre 2013 et 2014 pour permettre à sa cimenterie de Jalabiya, saisie par l’EI, de poursuivre son activité (cette annonce a donné lieu à l’ouverture, en octobre dernier, d’une enquête préliminaire par la justice française à la suite d’une plainte déposée par le ministère de l’Économie).
Quelques jours plus tard, Éric Olsen, PDG du groupe Lafarge-Holcim confirmait que son entreprise était, par ailleurs, tout à fait disposée à fournir ses services à l’administration de Donald Trump notamment pour la construction d’un mur anti-clandestin le long de la frontière avec le Mexique. “Nous sommes prêts à fournir nos matériaux de construction pour tous types de projets d’infrastructures aux États-Unis”, a-t-il déclaré à l’AFP. Et d’ajouter : “Nous n’avons pas d’opinion politique.” Le président français de l’époque, François Hollande, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et le candidat à la présidentielle d’alors, Emmanuel Macron, ont tous critiqué les agissements du groupe s’accordant sur le fait que les entreprises ont une responsabilité sociale et environnementale.
Une actualité lourde qui a donné lieu à une prise de conscience, certes, mais comment les choses se déroulent-elles sur le terrain ? S’interdire certains marchés ou certaines zones géographiques pour des raisons éthiques est-ce une bonne stratégie à long terme, notamment en matière d’image ?
Financements indirects
Si dans le cadre de ce sujet, les interlocuteurs n’ont pas été nombreux à souhaiter s’exprimer, Emmanuel Toniutti, fondateur de l’International Ethics Consulting Group, spécialiste de l’éthique et des comportements de leadership, d’entrepreneurship et de gestion de crise, nous livre son analyse. “Se retirer volontairement d’un marché ou d’un pays est un choix stratégique et les entreprises ne communiquent pas là-dessus, insiste-t-il en préambule. Nombreux sont mes clients qui font ce type de démarches, mais tout cela est souvent vécu sur le terrain comme étant une contrainte.” L’expert explique dans le même temps que l’effet de mode de l’éthique est passé. Et que les grandes entreprises ont bien compris qu’il s’agissait d’une nécessité.
Posture d’avant-garde
Mais cette prise de conscience est plutôt récente. “Elle date de 18 mois, un an”. S’il est impossible de faire marche arrière sur l’importance de l’éthique dans les affaires, se retirer d’un marché ou d’un pays implique nécessairement une perte d’argent. “Cela dépend des marchés, mais par exemple si une entreprise décide de se retirer du marché de l’armement, cela peut impliquer de perdre des milliards, assure Emmanuel Toniutti. L’entreprise va, certes assainir son image, mais avant de retrouver de la rentabilité cela peut prendre des années.”
Pour autant, les bons élèves ne sont pas toujours gratifiés et les mauvais ne sont pas toujours sanctionnés. Prenons, par exemple, l’affaire du Diesel Gate, un scandale industriel et sanitaire lié à l’utilisation par le groupe Volkswagen de différentes techniques visant à réduire frauduleusement les émissions polluantes de certains de ses moteurs lors des tests d’homologation. L’impact semble plutôt réduit. “Si l’affaire est encore récente, elle a eu, pour l’heure, zéro impact sur le chiffre d’affaires du groupe qui a payé 20 milliards d’euros d’amende en France”, analyse Emmanuel Toniutti. Les entreprises qui prennent des positionnements stratégiques en intégrant des critères éthiques semblent être à l’avant-garde. “Elles estiment souvent qu’il s’agit d’un avantage compétitif sur les dix ou vingt années qui viennent, souligne Emmanuel Toniutti. C’est un pari stratégique, mais l’éthique doit être à la base de la culture de ces entreprises.”