Les grands principes éducatifs défendus par la créatrice de cette pédagogie, Maria Montessori, sont l’exploration, l’expérimentation et l’autonomie. Dans un contexte de travail où flexibilité, innovation et bien-être sont devenus les mots d’ordre, les parallèles avec cette pédagogie dite alternative peuvent sembler manifestes. Sur le papier, du moins. Dans quelle mesure peuvent-ils s’appliquer à la réalité d’une organisation et aux contraintes du management ? Thierry Pick a tenté l’expérience, « par intuition » d’abord, avant de formaliser cette approche aux côtés de son fils, Edouard Pick, qui a repris l’entreprise. Comment cette philosophie éducative se traduit-elle dans leur organisation ? Quelles sont les limites de l’analogie entre éducation et management ?
De la pédagogie Montessori au management : décryptage d’une analogie
Chez Clinitex, Thierry Pick s’est inspiré des principes Montessori pour imaginer un « management par l’appétence ». Ce modèle repose sur l’autonomie, la responsabilisation et la liberté de choix des employés. À l’instar des élèves d’une classe Montessori, qui choisissent leurs tâches dans le respect des règles communes, les collaborateurs de Clinitex sont encouragés à prendre des initiatives et à s’approprier leurs tâches. « Nous nous sommes approprié le fameux “Apprends-moi à faire seul” en donnant à chacun la possibilité de se débrouiller et d’oser sortir de la fiche de poste », explique l’ex-PDG et auteur de « Bienvenue chez les fous ! – Success Story et secrets de management d’un laveur de carreaux » (Diateino Eds). Il transpose cette idée en encourageant ses collaborateurs à expérimenter, y compris en acceptant le droit à l’erreur. Le corollaire de cette philosophie est l’importance accordée à la considération et à l’humilité. Selon Thierry Pick, « le bon manager doit disposer d’une qualité première : l’humilité, prérequis de la considération, qui est elle-même le prérequis de l’engagement ».
Cette approche, loin d’être prescriptive, « s’adapte aux besoins et aux contextes spécifiques de chaque entreprise ». En effet, l’ex-PDG ne se considère pas comme un adepte strict de la méthode qui est loin d’être universelle, notamment dans la sphère éducative : « Si mes quatre enfants ont suivi cette méthode, cela n’a pas été un succès pour tous ! »
Management Montessori : ça donne quoi en pratique ?
- Entretien annuel revisité :
Plutôt que des entretiens formels, Clinitex utilise des questionnaires d’auto-évaluation avec des questions ouvertes, que les collaborateurs envoient à une personne de confiance, au sein de l’entreprise. Ces échanges se poursuivent par une « promenade socratique », permettant une discussion ouverte fondée sur le questionnement et l’étonnement. À la fin de l’échange, les participants décident ensemble de rédiger un compte-rendu commun ou individuel à envoyer au responsable hiérarchique. Thierry Pick souligne l’importance de l’auto-évaluation, une pratique inspirée de Montessori, pour éviter la dépendance à l’approbation externe : « Pour moi, un bon manager doit maîtriser l’art de l’observation, le savoir-voir, en plus du savoir-être. Il doit agir comme un radar, observant et interagissant avec les collaborateurs afin de les encourager à faire leur propre évaluation. Ceci favorise une réflexion personnelle et un développement autonome. »
- Transparence et entraide :
Clinitex adopte le « naturisme managérial », autrement dit, la transparence totale sur les résultats de l’entreprise et commerciaux, la grille des salaires ou encore les rémunérations nominatives, etc. Ceci permet à chaque employé, du cadre à l’agent de propreté, d’accéder aux informations clés de l’entreprise, favorisant ainsi la comparaison et l’entraide naturelle, selon Thierry Pick. « Les plus performants se mettent spontanément à la disposition des autres, créant une dynamique d’entraide et de soutien mutuel. » Sa conviction ? Lorsqu’un collaborateur se sent considéré, avec un sentiment d’existence et d’utilité, il est plus engagé et productif. Cette approche semble porter ses fruits chez Clinitex, comme en témoigne le faible taux de départs parmi les laveurs de vitres et l’absence de turn-over subi dans les services supports
- Liberté dans le versement des acomptes :
Clinitex a instauré une pratique innovante pour renforcer la confiance et l’autonomie de ses agents de propreté : ceux qui ont besoin d’un acompte peuvent effectuer eux-mêmes le virement, évitant ainsi le moment potentiellement « humiliant » de devoir le demander à un supérieur. L’intranet de l’entreprise vérifie en amont que le compte est suffisamment approvisionné, permettant aux agents de procéder au virement en toute autonomie, dans la limite de leurs droits. « Ce processus, tout simple, démontre une grande confiance envers les collaborateurs », insiste Thierry Pick.
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Passer de la pédagogie au management : les limites à connaître
Magali Trelohan, enseignante-chercheuse à l’EM Normandie, relève quelques effets de bord et paradoxes de cette transposition – artificielle – entre éducation Montessori et monde professionnel. « D’abord, l’autonomie totale prônée par Maria Montessori me semble antinomique avec la relation employeur-employé lorsqu’elle est appliquée de manière stricte : on peut laisser de l’autonomie certes, mais elle est cadrée par un contrat de travail et des contraintes organisationnelles. » Selon la chercheuse, il s’agit d’une fausse autonomie, voire d’une injonction paradoxale, au service de la communication RH. Cette approche doit également être examinée à la lumière des recherches récentes en neuropsychologie et en psychologie cognitive. Bien que Maria Montessori fût médecin, sa démarche était plus intuitive que strictement scientifique. « À titre d’exemple, les stades de développement, on ne peut pas les appliquer dans l’entreprise, c’est pourtant un aspect fondamental de sa pédagogie. »
Si l’inspiration Montessori peut enrichir le management d’une entreprise, elle nécessite des adaptations significatives pour être viable et réelle dans un environnement professionnel. Il est aussi essentiel de trouver un équilibre entre autonomie et cadre, afin de garantir que les employés puissent s’épanouir sans tomber dans les pièges d’une liberté conditionnée et de la surcharge liée à la responsabilité. « Un travers que l’on retrouve dans les entreprises libérées et qui peuvent mener au burn-out », conclut Magali Trelohan.