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Quelles tendances observez-vous en matière de HR Tech ?
Justine Dima. La technologie joue déjà un rôle clé dans le soutien au travail hybride, car elle permet de fluidifier les échanges et les process, de soutenir les managers, notamment via des outils de communication numérique.
Les « internal talent marketplaces » (MTI) gagnent aussi du terrain. Elles facilitent le matching entre des salariés et des opportunités en interne d’emplois ou de projets. Les nouvelles technologies contribuent à une gestion plus individualisée des carrières, des compétences et de l’expérience collaborateur. La gestion des données des employés, pour prédire des démissions ou des performances futures, se développe également.
L’IA peut ainsi analyser une très grande quantité de données, par exemple les données RH au niveau mondial pour un groupe international.
Le fait de pouvoir s’appuyer sur ces données pour prendre des décisions est un vrai plus. Mais cela pose des questions en matière de transparence dans la collecte et l’utilisation de ces données. Enfin, pendant des années, le métavers a paru très gadget. On constate cependant qu’il peut impacter positivement l’expérience client. On peut donc transposer cela à l’expérience candidat. Je pense que cela a beaucoup de potentiel au début du processus de recrutement, pour que les candidats puissent se projeter, puis au moment de l’onboarding. C’est donc un plus pour la marque employeur, et pour la partie marketing des RH.
Les nouvelles technologies ne se résument donc pas à l’intelligence artificielle (IA), même si on en parle beaucoup en ce moment…
J.D. En effet, je distingue trois niveaux de digitalisation.
Premier niveau : on numérise les documents papier. Dans le domaine RH, il y a des données sensibles. Garder des papiers en termes de sécurité n’est pas l’idéal. Cela paraît évident, mais c’est loin d’être le cas dans toutes les entreprises.
Deuxième niveau : l’automatisation. Elle ne contient pas obligatoirement de l’IA. Il peut s’agir de répliquer une tâche de manière précise. Le principal avantage pour les professionnels dans ce domaine-là, c’est vraiment un gain de temps et d’efficacité. On réduit aussi le taux d’erreur.
Troisième niveau : on utilise des technologies dites intelligentes (IA, machine learning, IA générative, etc.). Là, il y a un vrai bouleversement dans le sens où cela transforme la manière dont on réalise son travail. Cela engendre une nouvelle répartition des tâches et des rôles entre les humains et les machines. Que leur délègue-t- on ? On est censés se dégager de tâches qui peuvent être chronophages et inintéressantes pour se consacrer à tout ce qui est un peu plus créatif, dans le relationnel, etc. Donc, tout ce que la machine ne fait pas bien encore aujourd’hui.
La première étape, c’est donc d’analyser ses besoins ?
J.D. Oui, tout à fait, car cela ne vaut pas la peine de faire appel à une IA de pointe en recrutement, si, finalement, vous n’avez pas tant de CV que cela à traiter. Pour certaines entreprises, c’est le recrutement qui va être très énergivore. Pour d’autres, la rétention d’employés. Donc, à chacun de trouver des outils adaptés à ses besoins réels. Ces derniers varient selon la taille de l’entreprise, du secteur, etc. La première question à se poser est donc : quel est mon besoin ? Parfois, quelque chose de très rapide à mettre en place suffira. Une automatisation basique fera l’affaire, ou une solution avec un bon algorithme, mais pas forcément de l’IA à tout prix. Est-ce que mon enjeu numéro un c’est la rétention des talents ou l’attraction de nouveaux candidats ? En fonction de cela, classez vos besoins par priorité, afin de digitaliser les RH de manière stratégique.
Quels écueils éviter ?
J.D. Il ne faut pas tout digitaliser d’un coup ! Il faut y aller par étapes, car cela va demander de l’énergie aux équipes. Il est nécessaire de les acculturer au changement pour le faire accepter. Il ne faut pas oublier qu’on peut avoir la meilleure des technologies, avoir analysé cela et se dire que c’est la bonne solution, mais si les employés, les managers et les professionnels RH n’adhèrent pas, c’est voué à l’échec. L’acceptation du changement, le volet humain de la transformation, est déterminante.
La formation aux logiciels est ainsi clé ?
J.D. Oui, car si la technologie apporte des choses, elle a aussi ses limites. Un petit peu comme nous, les humains. Si on prend l’exemple du recrutement, il est certain que les gens qui utilisent l’IA, ou d’autres technologies, doivent être formés pour avoir un esprit critique et éviter les biais. Il faut de la complémentarité humain / machine : l’IA fait gagner du temps, mais l’humain garde son esprit critique et c’est lui qui prend les décisions. L’entreprise doit aussi se positionner sur comment les RH peuvent utiliser l’outil. Parce que d’une organisation à l’autre, il y en a pour qui cela ne va pas poser de problème qu’il n’y ait pas ou presque d’humain dans la boucle du processus de recrutement. Et pour d’autres, non, c’est important qu’à telle phase, il y ait un humain.
Les dirigeants doivent être clairs sur le rôle des RH. Il y a donc toute une sensibilisation à faire. La formation ne se limite pas à l’aspect fonctionnalité et technique de l’outil.
L’IA est-elle aujourd’hui un allié pour les RH, notamment afin de leur faire gagner du temps ?
J.D. Oui, l’IA peut faire gagner du temps aux professionnels RH en leur enlevant des tâches chronophages et répétitives. Par contre, si le RH, avant l’IA, avait deux départements à gérer, et, qu’après l’IA, il en a 5, je ne suis pas certaine que, finalement, l’équation soit toujours la même ! Tout dépend donc des choix faits au sein de l’organisation. Mais si le périmètre reste le même, oui, là, c’est vraiment censé dégager énormément de temps. Ce qui permet de prendre du recul. Or, c’est essentiel dans la fonction RH. Même des gens à haute responsabilité soulèvent beaucoup le problème de « Je suis pris dans l’opérationnel et je n’ai pas le temps de prendre du recul ». C’est problématique quand on voit que le rapport au travail évolue, que les générations changent. Les RH doivent se réinterroger sur leurs pratiques : font-elles toujours sens aujourd’hui ? Comment s’adapter ? Et cela demande du temps. Du temps que les technologies de gestion des ressources humaines peuvent justement apporter aux RH.
L’intelligence artificielle, amie ou ennemie ?
La question divise depuis l’émergence de ChaptGPT. D’après la dernière étude de Zoom Video Communications, dévoilée fin décembre 2023, 74 % des dirigeants ont déclaré gagner “une à plusieurs heures par jour” grâce à l’usage de l’intelligence artificielle (IA) dans leur quotidien professionnel. 73% ont même indiqué l’utiliser plusieurs fois par semaine.
Ils estiment notamment que cette technologie leur permet de se concentrer sur des tâches jugées plus intéressantes. De plus, pour les trois quarts d’entre eux, l’IA aide à mieux collaborer et à prendre de meilleures décisions.