De quoi parle-t-on exactement quand on parle de préparation mentale ?
Thomas Sammut. C’est un vaste mot ! Chaque préparateur mental a sa propre définition. Cela fait personnellement 18 ans que j’accompagne des sportifs de haut niveau (des nageurs du Cercle de Marseille comme Camille Lacourt il y a quelques années aux footballeurs du Stade Brestois récemment qualifiés pour la Ligue des Champions) et j’ai toujours axé ma méthode sur leur santé mentale. Comme les dirigeants et managers, ils sont soumis à une forte pression des résultats. Ils s’impliquent à fond, parfois de manière démesurée. L’idée est alors de partir de chaque individu pour qu’il s’épanouisse : c’est cet épanouissement dans sa vie en général, en tant que personne, qui le mènera à la performance. L’essentiel de ma philosophie, c’est qu’on n’a qu’une vie, et cette vie doit être en grande partie consacrée à son bonheur. La performance vient à partir du moment où la personne va être heureuse. A mes débuts, quand je parlais du lien entre bien-être et performance, on me riait au nez, beaucoup se moquaient et pensaient que cela était incompatible avec les exigences du haut niveau !
Or, on se rend compte avec les succès de Léon Marchand et de Florent Manaudou aux JO de Paris, que tout part de là…
T.S. Oui, exactement. La clé de voûte, c’est de participer à l’éveil de leur identité et de renforcer leur personnalité. C’est gagné quand ils se portent un amour inconditionnel. Et ça, on ne nous l’apporte pas à l’école ou dans le monde du travail. Quand les sportifs sont bien dans leur peau, ils n’ont pas besoin de se donner de l’importance pour exister. Ils abordent les grands événements comme les JO avec une énergie positive. L’énergie du bonheur est leur premier moteur.
Cela demande de s’accepter tel que l’on est. Léon Marchand évoque, par exemple, sa timidité ou encore son physique différent des autres nageurs. Ce sont aujourd’hui ses forces ?
T.S. En France, on a tendance à se percevoir selon ses manques et ses prétendus défauts. On est conditionnés comme cela. Léon est timide, Florent, aussi, est intraverti. Et ce n’est pas un problème ou une tarre, même au plus haut niveau ! Au contraire, c’est une richesse. Si on écoute la norme ou les injonctions, il ne faudrait être ni trop timide, ni trop extraverti : il faudrait se fondre dans un moule idéalisé pour réussir. C’est une erreur. Nous sommes tous différents et uniques. C’est en sublimant nos singularités que, d’abord, on se sent bien, puis que l’on excelle.
Pour exceller, Léon Marchand explique qu’il a aussi changé son rapport à l’échec : il avait auparavant peur de décevoir…
T.S. Ses peurs étaient les mêmes que celles des autres sportifs de haut niveau, et même de n’importe quelle personne engagéé dans un projet qui lui tient à cœur. Dans notre société, l’échec est encore mal perçu. A l’école, les erreurs sont soulignées et entraînent des sanctions. On nous dit que ce n’est pas bien d’échouer, ce qui provoque un sentiment de honte quand cela nous arrive. S’il y a une priorité selon moi, c’est de changer dans l’inconscient collectif et dans la culture française, notre vision de l’échec. Elle empêche d’avancer sereinement. On a l’impression d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête, comme s’il était indispensable de tout réussir du premier coup. Cela sous-entend que la réussite serait synonyme de perfection. C’est tout simplement irréel ! Ceux qui se mettent en tête cet objectif peuvent réussir, oui, mais à quel prix. Certains explosent en plein vol, d’autres craquent après leur carrière. Ce n’est pas une posture tenable sur le long terme. Et c’est sclérosant. En France, face à quelqu’un qui ose et prend un risque, on va lui dire « Tu es sûr ? », aux Etats-Unis « Prends ta chance ! ».
On est tous logés à la même enseigne : on a tous connu des ratés ou des loupés, et c’est grâce à eux que l’on est là où on est aujourd’hui. L’échec n’est qu’une étape sur le chemin de la réussite. Rien de plus. Souvent, le pire, ce sont les conséquences que l’on imagine si un échec arrivait, notamment le regard et le jugement des autres. On a peur d’être le vilain petit canard, une petite voix nous dit que ce sera la honte car tout le monde le verra, le saura.
Pour dédramatiser, l’idée est donc de ne pas se focaliser sur le résultat ?
T.S. En effet. Quand on est sportif de haut niveau, cadres ou dirigeants, on est déjà de base, ambitieux, très engagé et investi. On connaît les objectifs : il faut, bien sûr, les avoir dans un coin de sa tête. Mais se focaliser dessus au quotidien n’ajoute que de la pression. Et c’est un cercle vicieux : on se dit qu’on est rien sans ces résultats, et on en veut toujours plus. C’est sans fin, dans le sport comme en entreprise. La concurrence est plus forte d’année en année. Qu’est-ce qu’on apprend en étant obnubilé par la compétition, où l’on doit battre quelqu’un d’autre, si ce n’est développer le mauvais ego ? La compétition, je la vois comme quelque chose pour aller chercher le meilleur en nous. C’est vraiment un travail centré sur la personne. Au quotidien, la pression du résultat et de la première place est usante. Notre système nerveux n’est pas fait pour subir cela. A l’inverse, prendre du plaisir au quotidien est un vrai moteur, et prendre soin de soi une source de longévité. Florent n’a jamais eu autant la banane que ces derniers temps, même avant ses deux médailles aux JO de Paris : ce n’est pas une coïncidence qu’il soit encore au plus haut niveau à 34 ans. L’important est notamment de se rappeler pourquoi on fait les choses afin de ne pas les subir.
Et donc de s’écouter ?
T.S. Bien sûr, selon ses propres aspirations, selon qui on est et ce qui nous caractérise. Bien se connaître et se faire confiance mènent aussi à l’efficacité : on privilégie ainsi la qualité plutôt que la quantité (cela est valable pour les entraînements, mais aussi pour les réunions, les process, le temps de travail ou de présence au bureau, etc.). Je prône la simplicité et un bon équilibre de vie. Pour préparer une grande échéance, mieux vaut en faire moins, mais mieux. Et rester le plus longtemps possible détaché de l’événement, ce n’est qu’une partie de notre vie.
Pendant leurs compétitions aux JO, on a vu Teddy Riner jouer entre ses combats, Félix Lebrun faire du basket, Léon Marchand dit lire des mangas entre ses courses ou faire de la cohérence cardiaque… Ces temps sont indispensables ?
T.S. Oui, et ils sont propres à chacun. Ces moments permettent de ne pas ruminer ce qu’il s’est passé, mais aussi de ne pas anticiper la suite de manière anxiogène. La respiration, par exemple, fluidifie le flux énergétique. Si on respire seulement par notre cage thoracique, c’est comme si on empruntait le périphérique à une heure de pointe, cela ne donne pas de l’énergie et ne détend pas ! Mais, encore une fois, tout part de l’individu et de ses particularités : plus on apprend à se connaître, moins on subit les injonctions des autres. La clé de la performance, c’est de se découvrir, de se sentir pleinement soi-même. Et ce, dans le sport comme en entreprise.
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*Thomas Sammut intervient en entreprises via des conférences ou des formations : https://www.thomas-sammut.com/