En 2001, la chercheuse américaine Saras Sarasvathy publie les résultats d’une étude commencée en 1997, visant à comprendre le processus décisionnel de 27 entrepreneurs. Ses recherches ont révélé cinq principes clés, regroupés sous le terme d’effectuation, qui expliquent comment ces derniers pensent, prennent des décisions et créent des opportunités.
Cette approche propose une alternative aux méthodes classiques de planification stratégique, particulièrement pertinente dans des environnements marqués par l’incertitude. L’idée sous-jacente est de devenir acteur de son propre destin professionnel, ainsi que de celui de son équipe. Comment s’en inspirer quand on est manager ? Dans quelles situations est-il pertinent d’appliquer les principes de l’effectuation ?
Effectuation et management : 5 principes dont s’inspirer
Les principes de l’effectuation illustrent une approche pragmatique et adaptative de l’entrepreneuriat, centrée sur les ressources disponibles, la gestion des risques, la collaboration, l’adaptabilité et la prise de contrôle sur son environnement.
Le premier principe, celui de la frugalité (Bird-in-Hand), invite à partir des ressources dont on dispose. Comme l’explique Philippe Silberzahn, professeur à l’EM Lyon Business School et spécialiste des organisations : « Au lieu de partir d’un objectif, il s’agit de démarrer avec ce que l’on a : compétences, relations, connaissances… Et on imagine ce que l’on peut en faire. » Les entrepreneurs exploitent ainsi leur environnement immédiat pour créer des opportunités sans se fixer des objectifs inaccessibles.
Le deuxième principe est celui de la perte acceptable (Affordable Loss). Selon Philippe Silberzahn : « Il faut contrôler son risque en avançant par petites victoires. » Autrement dit, plutôt que de viser de grands gains hypothétiques, le manager effectual évalue les pertes acceptables, tente de petits changements et ajuste ses actions en conséquence.
Le troisième principe, le patchwork du fou (Crazy Quilt), repose sur la coconstruction. « L’entrepreneur n’est pas seul, il construit toujours avec les autres », insiste Silberzahn. En effet, l’innovation est un processus social et collectif : un leader doit donc mobiliser son réseau interne et collaborer avec les parties prenantes pour initier des projets transverses et réformer les processus établis.
Le principe de la surprise stratégique (Lemonade) consiste à tirer parti des imprévus. « Nous évoluons dans un monde incertain, autant y voir des surprises », souligne Silberzahn. Plutôt que de subir la contingence, les entrepreneurs adoptent une posture proactive pour transformer les imprévus en opportunités.
Enfin, le principe du pilote dans l’avion (Pilot-in-the-Plane) reflète l’idée que les entrepreneurs peuvent influencer leur environnement. Silberzahn explique qu’il s’agit d’une « posture philosophique » où le leader choisit de ne pas subir son environnement, mais de le façonner à travers des actions progressives et un engagement constant.
Tirer parti de l’effectuation en 5 situations managériales
Le but ultime de l’effectuation est de prendre des décisions raisonnées et de gérer une équipe de manière pragmatique, en exploitant les ressources disponibles tout en valorisant la flexibilité. Perrine Pallez Daumont, coach de dirigeants, de managers et d’équipe, a identifié les moments managériaux clés où l’effectuation peut s’avérer utile :
- Accompagner son équipe : Un manager peut commencer par auditer les compétences et ressources existantes. Plutôt que d’imposer de grands changements, il ou elle peut encourager ses collaborateurs à « faire avec ce qu’ils ont », en suivant le principe de la frugalité. « Ce processus permet de prototyper de nouvelles manières de travailler sans prendre trop de risques », précise Perrine Pallez Daumont.
- Développement des compétences : Le principe de la perte acceptable peut être appliqué dans le cadre du développement des équipes. Un manager peut, par exemple, proposer des formations à ses collaborateurs tout en fixant des objectifs réalistes pour cette période, permettant ainsi de développer les compétences sur le long terme sans pression immédiate sur les résultats.
- Activation du réseau : La coconstruction, pilier de l’innovation, passe par l’identification des parties prenantes et la mise en place de projets en collaboration. Un manager peut alors transformer les pratiques établies, comme la manière de conduire les réunions par exemple, en s’appuyant sur des alliés. Les relations sont une source d’informations, des ressources et des partenariats pour mener à bien les projets.
- Prise de poste : Lorsqu’un manager arrive dans une nouvelle fonction, il peut expérimenter de nouvelles pratiques, comme explorer d’autres responsabilités ou adopter une approche plus transparente avec son équipe en étant explicites sur ses compétences et ses vulnérabilités. « Adopter une posture authentique et ajuster continuellement sa stratégie nourrissent la dynamique collective », selon Perrine Daumont.
- Animation des équipes : « Chaque personne, à son niveau, peut agir et influencer le collectif en s’impliquant dans les décisions et en innovant dans la gestion des projets », poursuit-elle. Pour cela, le manager doit diffuser cette culture de responsabilisation au sein de son équipe afin d’adopter la philosophie du « Pilot-in-the-Plane ».
Ces exemples montrent que l’effectuation permet non seulement de gérer le changement par petits pas, mais aussi d’instaurer une culture d’innovation et d’adaptabilité. « Cette approche redonne aux managers et à leurs collaborateurs une véritable capacité d’action », conclut Perrine Daumont.