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Valérie Brusseau : « L’industrie de demain doit absolument se faire avec les femmes »

Si certains secteurs ont (presque) résorbé les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, l'industrie semble à la traîne. C'est ce que révèle l'Enquête nationale 2024 de l'association Elles Bougent, avec seulement 24 % de femmes ingénieures. Sa présidente, Valérie Brusseau, a appelé à rectifier le tir de toute urgence ce lundi 23 septembre.

Le secteur de l’industrie est à la traîne… Seulement 24 % des ingénieurs sont des femmes, d’après l’Enquête nationale 2024* dévoilée par l’association Elles Bougent ce lundi 23 septembre. « C’est un problème, a lancé sa présidente Valérie Brusseau, avec gravité. L’industrie de demain doit absolument se faire avec les femmes. Elles doivent contribuer aux défis de la décarbonation, de l’intelligence artificielle.« 

Qu’est-ce qui bloque ?

Un phénomène d’autant plus surprenant qu’à l’école, les mathématiques et les sciences faisaient partie des matières préférées de 88 % des femmes interrogées. En dépit de ce fort intérêt, près d’un tiers d’entre elles se rappellent qu’elles osaient moins s’affirmer que les garçons pendant les cours. Cette inhibition est nourrie par les stéréotypes de genre auxquels 82 % d’entre elles se souviennent avoir été confrontées. Exemple ? Leur supposée incompétence en la matière (44 %) parce qu’elles étaient des femmes. Une poignée déclare (21 %) que des professeurs ont même tenté de les dissuader de prendre cette voie.

Ce contexte très masculin – où des violences continuent d’exister (20 %) et où le manque de rôles modèles est criant (83 %) – constitue « une grande partie du problème. Car lorsque les entreprises ont des offres d’emploi à pourvoir, le vivier de candidates est insuffisant. C’est un problème qui peut être résorbé uniquement si on le prend à la racine, c’est-à-dire dès le plus jeune âge », souligne Valérie Brusseau.

Modernisation du secteur

Ensuite, le monde du travail perpétue ces stéréotypes de genre auprès de celles qui se sont accrochées. Une crainte ressentie par les jeunes femmes avant même leur entrée dans l’industrie : 81 % d’entre elles redoutent plus de difficultés que les hommes à accéder aux postes à responsabilités ; à faire progresser leur carrière (78 %) ; à percevoir un salaire identique à poste égal (75 %) ; à se voir attribuer des projets tout aussi intéressants que leurs homologues masculins (39 %). Elles redoutent également des conditions de travail dégradées (jusqu’à 20 %). « De vieux clichés concernant l’industrie persistent. On imagine, encore aujourd’hui, un univers composé uniquement d’ouvriers, avec un casque sur la tête, qui doivent travailler dans un environnement pollué, bruyant, pénible, et mal rémunéré, détaille Roland Lescure, vice-président de l’Assemblée nationale, et ancien ministre de l’Industrie (2022-2024). La première des choses est de sensibiliser le plus grand nombre pour se défaire de ces idées préconçues qui appartiennent au passé. »

Autres mesures pour contrecarrer la pénurie de femmes dans ce secteur ? Déployer des dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles en entreprises ; proposer des formations aux managers de tous niveaux, y compris de manière ludique (escape games, réalité virtuelle, etc.), afin de faire comprendre ce que sont des scènes de sexisme ordinaires. « Les quotas sont aussi un outil très puissant, même s’ils sont parfois contestés, complète Barbara Siguret, secrétaire générale à la Direction générale des Entreprises (DGE). Mais malheureusement, si on ne contraint pas les entreprises, les femmes ont tendance à être écartées, notamment des postes d’encadrement. En imposant cette contrainte, les entreprises se retrouvent dans l’obligation d’aller trouver des femmes pour que le seuil fixé soit atteint. Il existe des plateformes pour accroître la visibilité des profils de femmes compétentes pour les postes recherchés. »

Encourager la sororité

Et ce n’est pas tout ! « Une fois qu’elles font partie intégrantes de l’entreprise, il faut les faire évoluer, poursuit la dirigeante de la DGE. La sororité est un autre outil extrêmement puissant. L’entreprise aide les femmes, mais ces femmes doivent aider à leur tour les autres femmes. C’est pourquoi, des entreprises développent des systèmes de marrainage. » Un état d’esprit adopté par Philippine Drain, 30 ans, ingénieure aéronautique manager chez Airbus : « Gagner sa légitimité auprès des hommes est possible, mais peut prendre du temps. Donc, quand de jeunes femmes rejoignent notre équipe, j’essaie de faire en sorte qu’elles se sentent à l’aise. J’interpelle mes collègues masculins s’ils ont des propos lourds ou déplacés. »

Chez EDF, premier fournisseur d’électricité, 10 000 postes seront à pourvoir dans les prochaines années, précise la responsable du Pôle stratégie et diversité de l’emploi, Céline Szczyrba. « Si nous voulons des recrutements paritaires, il faut féminiser le secteur dès maintenant ! Nous multiplions les partenariats avec les grandes écoles d’ingénieurs et utilisons les réseaux sociaux, comme TikTok, pour toucher un maximum d’étudiants et de jeunes actifs. Nous cherchons également à fidéliser les femmes ingénieures de notre entreprise, notamment dans des moments charnières de leur vie (maternité, aidance, ndlr) où elles se tertiarisent ou partent. Nous valorisons la conciliation des temps de vie. C’est un défi au long cours. »

Plus d’un million d’offres à venir

Au total, avec plus d’un million d’offres à pourvoir dans l’industrie ces prochaines années, ce secteur « représentera une aubaine pour les femmes : une opportunité professionnelle d’avenir et rémunératrice. La culture de l’égalité doit devenir un projet d’entreprise dans toutes les organisations afin que cet enjeu devienne un projet de société. C’est une véritable plus-value pour le monde économique, car les hommes et les femmes n’ont pas le même système de pensées. Leurs visions complémentaires permettront de construire le monde de demain. L’évolution est lente depuis 20 ans, il faut aller plus loin et plus vite », insiste Valérie Brusseau.

Et la présidente d’Elles Bougent de conclure : « Les quatre actions clés à mener à grande échelle pour y parvenir sont claires. » Mener une campagne nationale de sensibilisation, « car nous sommes tous le prescripteur d’un enfant ». Mais aussi : former les enseignants aux biais de genre dès la maternelle, accroître le nombre d’heures obligatoires de mathématiques dans le tronc commun, faire de la discrimination positive à l’entrée des grandes écoles, renforcer l’index égalité des entreprises, former les managers et leurs équipes au sein des entreprises aux pratiques inclusives et à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), réaliser des enquêtes internes, promouvoir les parcours de femmes qui ont réussi.

*Au total, 9191 femmes (ingénieures, techniciennes, étudiantes) se sont connectées à la Consultation OpinionWay pour Elles Bougent. 6125 ont complété le questionnaire dans son intégralité. Celle-ci était disponible en ligne du 25 mars au 15 avril 2024. L’Enquête nationale a été publiée en septembre 2024.

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