Selon de récents travaux de recherche en management, la promesse d’une viabilité économique et d’une compétitivité des entreprises sur le long terme pourrait être tenue si l’ensemble des parties prenantes, employeurs, salariés et gouvernements œuvraient en synergie pour des “carrières durables”. En cette période marquée par l’incertitude, qu’entend-on par carrières durables ? Par Nikos Bozionelos, professeur de gestion internationale des ressources humaines à l’EM Lyon.
Depuis trois décennies, nous assistons à une profonde transformation de la vie au travail ainsi que des pratiques des employeurs. Ces changements sont intervenus notamment sous l’effet combiné de l’accélération du développement technologique et de l’assouplissement des restrictions pesant sur la circulation transfrontalière des biens et des personnes. Les cycles de vie des produits se raccourcissent, la concurrence s’intensifie. Face à ces enjeux, les entreprises ont dû s’adapter, faire preuve de plus d’innovation et de souplesse. La perception d’un travail à la fois plus exigeant, précaire et incertain s’est généralisée. Non seulement cette tendance ne va pas s’inverser mais de nombreuses raisons laissent penser qu’elle va s’intensifier.
À partir de l’observation des 30 dernières années et notamment des crises de 1987, 2001 et 2008, nous pouvons établir avec certitude les trois constats suivants :
– Le rythme actuel des changements technologiques et sociaux impose aux travailleurs de constamment maintenir leurs connaissances et leurs compétences à jour. Les exigences d’apprentissage permanent sont bien plus importantes qu’à toute autre période de l’histoire de l’homme.
– L’accélération de la demande en termes d’innovation, de qualité et d’agilité implique pour les entreprises la nécessité de soutenir la motivation et l’engagement de leurs collaborateurs. Mais comment demander leur mobilisation et leur engagement sans leur offrir en retour une certaine forme de sécurité dans l’emploi ?
– L’intensification du travail, alliée à l’incertitude et à la précarité ajoute au stress des employés, stress qui se traduit à son tour par une augmentation des maladies et des accidents du travail, affectant les performances des organisations. En outre, la précarité de l’emploi déstabilise la société et l’économie dans son ensemble, car la plupart des gens, face à un avenir incertain, hésitent à prendre un engagement financier ou personnel à long terme.
Développer l’employabilité
Ces enjeux ont donné naissance à l’idée de carrières durables. Si ce concept est récent, il gagne vite du terrain. Les carrières durables sont avancées en réponse aux questionnements suivants : comment les employés pourront-ils être productifs à long terme, et ainsi aider leurs employeurs à rester compétitifs, dans un environnement en rapide mutation et imprévisible ? Dans ce contexte, comment la société pourra-t-elle rester stable et préserver son harmonie tout en offrant un niveau de vie agréable ? Une carrière durable signifie pour les travailleurs être capables de développer à long terme leur employabilité, performances professionnelles, souplesse d’adaptation tout en préservant leur santé.
Comme nous l’avons dit, l’employabilité s’obtient grâce à l’apprentissage permanent et la capacité à faire preuve de souplesse d’esprit. Les performances professionnelles, à savoir l’aptitude à contribuer en permanence à la réussite et à la capacité de survie de l’entreprise, requièrent des connaissances et des compétences de pointe, ainsi que de la créativité et des ressources psychologiques telles que l’optimisme et la persévérance. La prévention en matière de santé, physique et mentale est primordiale. Du point du vue du salarié, car une mauvaise santé peut altérer son employabilité et réduire sa capacité à profiter de la longévité inégalée dont nous bénéficions aujourd’hui. Du point de vue de l’employeur et de l’État également car le coût de la souffrance au travail, de l’épuisement professionnel et des accidents du travail apparaît très élevé. Cette triade vertueuse des carrières durables – employabilité, performances professionnelles et santé – ne peut être atteinte que si les employeurs, les salariés et le gouvernement œuvrent en synergie.
Pour cela, les entreprises doivent offrir aux employés des possibilités de formation et d’évolution de carrière, la sécurité de l’emploi ainsi que le soutien nécessaire pour gérer les problèmes personnels non liés au travail, mais qui affectent néanmoins les performances et l’employabilité. Nous savons désormais que cet investissement s’avère profitable pour les entreprises à court terme, mais aussi et surtout à long terme. Les entreprises qui fournissent des possibilités d’apprentissage, d’avancement professionnel et la sécurité de l’emploi bénéficient en retour d’un engagement bien plus marqué et de meilleurs résultats de la part de leurs employés. Les gouvernements, quant à eux, doivent investir dans l’éducation à vie et les opportunités de formation pour les citoyens, imposer ou maintenir en place une législation du travail qui ne compromette pas le sentiment de sécurité des employés, tout en préservant des systèmes de soutien, tels qu’un bon système de santé et de prestations sociales. Les employés enfin, doivent comprendre qu’il est aussi de leur responsabilité d’investir dans leur propre employabilité, de faire preuve de souplesse et d’engagement.
* Qui est l’auteur ?
Nikos Bozionelos est professeur de gestion internationale des ressources humaines à l’EM Lyon Business School. Ses recherches portent sur les antécédents de réussite professionnelle, le mentorat et le réseautage en milieu de travail, l’employabilité, le rôle de la personnalité dans l’environnement de travail, les systèmes de travail de haute performance, ainsi que sur la violence au travail et l’expatriation.