Coopération, entraide, confiance… comment le don transforme les relations au travail
Management

Coopération, entraide, confiance… comment le don transforme les relations au travail  

Face au culte de la performance qui domine les relations professionnelles, une théorie refait surface pour entretenir la coopération au sein des équipes. Le cycle du don contre don, introduit par l'anthropologue Marcel Mauss en 1925, trouve un écho particulier dans les organisations, alors que l'engagement est fragilisé. Comment cette dynamique peut-elle être un puissant levier pour recréer un écosystème de confiance et de réciprocité ?

Marcel Mauss et le don : fondements anthropologiques

Marcel Mauss, l’un des plus grands anthropologues du XXe siècle, est à l’origine d’une théorie qui dépasse l’approche des relations transactionnelles : la théorie du don. Dans son Essai sur le don (1925), l’auteur démontre que, dans toutes les sociétés humaines, les relations sociales ne sont pas fondées sur des échanges marchands ou contractuels, mais sur un cycle de réciprocité qui engage les individus à donner, recevoir et rendre. Dans ce système, le don crée des liens sociaux qui forgent des sociétés en cimentant la confiance et la reconnaissance mutuelle. Selon cette vision, la générosité et la réciprocité nourrissent la coopération. Pour les entreprises modernes, cette dynamique ne pourrait-elle pas être un moteur pour réengager les employés de manière plus pérenne ?

Application du don dans les organisations modernes

Selon Jean-Édouard Grésy, coauteur avec Alain Caillé du livre La Révolution du Don et fondateur d’Alter Nego, « le don en entreprise, c’est accepter d’entrer dans une logique de coopération, où chacun peut donner de soi, sans calcul immédiat ni contrepartie attendue ». Il s’agit de créer un environnement qui favorise la réciprocité au-delà des relations transactionnelles. Le fonctionnement du don repose sur « une grammaire sociale subtile, où chaque acte de demander, donner, recevoir et rendre crée un lien d’interdépendance ».

Contrairement à une vision transactionnelle du travail, le don exige alors une démarche volontaire : « Savoir demander est tout aussi crucial que donner : demander de l’aide n’est pas un signe de faiblesse, mais une ouverture à la générosité de l’autre », précise Jean-Édouard Grésy. En outre, l’expert insiste sur le fait qu’il faut motiver la demande, sans jamais exiger, « pour ne pas rompre la dynamique du don ».
Puis, lorsqu’on donne, il est essentiel de laisser l’autre s’approprier ce qu’on lui offre, lui permettre d’exprimer à son tour ses capacités, et d’accorder l’autonomie ainsi que le droit à l’erreur. Ensuite, recevoir, c’est accepter le don avec gratitude et reconnaître l’effort. Cette reconnaissance est fondamentale, car « deux tiers des salariés ne se sentent pas reconnus pour leurs contributions », souligne Jean-Édouard Grésy. 

« Dire merci, valoriser les efforts, et reconnaître les singularités sont essentiels pour maintenir un cercle vertueux du don. » Enfin, rendre doit se faire de manière inconditionnelle, sans attendre une contrepartie immédiate. Comme l’explique Alain Caillé, cette « inconditionnalité conditionnelle » permet de créer une réciprocité, « un endettement mutuel positif », où chacun donne sans compter, assurant un haut niveau de coopération.

Déployer le don au sein des équipes : mode d’emploi du manager

Selon Jean-Édouard Grésy, « quand le don circule de manière fluide dans une équipe, les liens se renforcent, la confiance se solidifie et l’engagement devient naturel ». La réciprocité devient la base de la collaboration, et l’organisation gagne en agilité et en efficacité. Pour cela, le manager a un rôle à jouer afin de nourrir le cycle du don à travers quatre « langages » :

  • Affection : elle se traduit par les petits gestes de convivialité et les moments de partage dans les moments difficiles.
  • Considération : il s’agit de l’écoute active et des moments de feedback.
  • Implication : l’entraide, l’ouverture de son réseau, et le service rendu en sont des exemples.
  • Inspiration : le partage de connaissances, d’idées et d’expertise que l’on décide de transmettre de manière spontanée.

Un bon manager doit donc être capable de jongler avec ces différentes formes d’échange pour répondre aux besoins variés des individus. « La diversité des langages du don permet de créer un véritable écosystème collaboratif, où chacun trouve sa place en fonction de ses attentes et de ses besoins », précise Jean-Édouard Grésy.

Travail hybride et transformations du travail : le don mis à rude épreuve

Le don véhiculé dans les organisations est aujourd’hui fragilisé par l’instabilité organisationnelle et la fragmentation des équipes hybrides. Face à ce qu’appelle la sociologue Danièle Linhart « la précarité subjective » – un sentiment de précarité qui naît du manque de continuité dans les collectifs de travail, souvent causé par des changements incessants et des restructurations –, Jean-Édouard Grésy conseille aux managers d’augmenter les « zones de rencontre » et les moments informels pour favoriser le lien social.
Les entreprises doivent encourager cette dynamique par des rituels collectifs comme les moments informels (afterworks, réunions conviviales), mais aussi en instaurant une véritable culture de la reconnaissance et de la médiation : « Il est fondamental que les employés se sentent vus et entendus pour ce qu’ils apportent au-delà de leurs tâches formelles ». Dire merci, reconnaître les singularités de chaque individu et manifester sa gratitude sont autant de pratiques qui maintiennent le cycle du don actif.

Ainsi, le cycle du don, revisité par Jean-Édouard Grésy, est bien plus qu’une théorie anthropologique : c’est un axe relationnel pour repenser la manière dont les organisations peuvent nourrir la coopération, la confiance, et l’engagement face aux changements actuels.

Ajouter un commentaire

Votre adresse IP ne sera pas collectée Vous pouvez renseigner votre prénom ou votre pseudo si vous êtes un humain. (Votre commentaire sera soumis à une modération)