Le flex office s’impose comme la nouvelle norme d’organisation du travail dans les entreprises. Sur le papier, le concept est simple et séduisant. Mais dans la pratique, qu’en est-il ? Par Julien Ridde, consultant pour le cabinet de conseil Groupe Square
Version 3.0 de l’open-space, le flex office consiste en un partage total de l’espace de travail au sein duquel chacun est libre de s’installer où il le souhaite. Terminé les places attribuées et la sectorisation des équipes. Les plateaux sont réaménagés en espaces lumineux et design. Chaque place dispose de la connectique nécessaire : il suffit de s’installer et de se brancher. Fini les téléphones fixes, place aux messageries instantanées et aux casques. Les salles de réunion sont devenues des espaces collaboratifs confortables et cosy, avec des murs sur lesquels on peut écrire. Des tablettes gèrent les systèmes vidéo et audio. Il y a des bulles, box fermés dédiés aux appels téléphoniques.
Et le concept va plus loin en intégrant dans son approche une forte dimension liée au bien-être, élément devenu essentiel aux yeux des salariés. Aussi le télétravail fait partie intégrante du flex office, les outils à disposition le permettant désormais. Disséminés un peu partout, des espaces avec banquettes, cafetières et distributeurs divers permettent de tenir des réunions plus décontractées. On trouve quelquefois des cuisines, bien pratiques lorsqu’on déjeune à emporter ou que l’on a apporté son bento. La cafétéria propose des jus détox, des thés bio et des alternatives végétariennes. Parfois, des baby-foot, bornes d’arcade ou tables de ping-pong sont mis à disposition. Et pour les beaux jours, les toits et terrasses sont aménagés afin de profiter au maximum de l’espace extérieur.
En somme, tout est pensé pour mettre le collaborateur dans les meilleures conditions. Il doit pouvoir travailler facilement et se sentir bien. Tout cela est bien marketé et, il faut bien l’avouer, fait très envie. Mais derrière le concept, il y a la réalité, dans laquelle le rêve peut basculer au cauchemar et le flex office se révéler être une guerre quotidienne où trouver une place libre s’approche symboliquement de la prise de la Bastille.
Trouver une place, une bataille
Trouver une place est bien plus compliqué qu’il n’y paraît. Un élément saute très vite aux yeux : la grande majorité des collaborateurs s’installe tous les jours au même endroit. Certains bureaux sont décorés de photos et d’objets, avec un mug laissé bien en évidence pour faire comprendre que la place est prise (et que cela soit clair : tout le temps prise). Les tables sont souvent monopolisées elles aussi, par des projets ou des équipes, cela étant plus simple si tous les acteurs sont à côté pour communiquer. Autrement dit, le concept même du flex est contredit d’entrée de jeu. Une fois la place trouvée il faut vite poser ses affaires, de peur qu’elle soit prise et qu’il faille aller au 8ème étage toute la journée (étage faisant office de refuge pour les SBF, les Sans Bureaux Fixes).
Le casier est, lui, souvent situé au strict opposé de l’emplacement trouvé (ce qui est très bien pour les 10 000 pas quotidiens). Une fois installé, il faut connecter l’ordinateur. Câbles défectueux, Wi-Fi instable et pas toujours d’écran externe : l’affaire n’est pas aisée non plus. Et comme il n’y a plus de help desk informatique, il faut appeler pour obtenir une aide : ce qui devient compliqué si l’ordinateur n’est pas connecté vu qu’il n’y a plus de téléphones. Arrive la pause déjeuner. Dans les « règles » du flex, il est de coutume de ne laisser aucune affaire sur les bureaux, à aucun moment de la journée. Dans les faits, si le bureau est vide il sera pris quelques minutes plus tard, les places étant chères. Il est donc fréquent de voir des manteaux posés sur des chaises devant des bureaux vides ou sur lesquels sont posées quelques affaires, telle une serviette posée sur un transat de la piscine pour le réserver avant d’aller au petit-déjeuner. Puis, en fin de journée, il faut se débrancher et tout ranger dans son casier, en espérant trouver demain une place plus proche de celui-ci (et tant pis pour les 10 000 pas).
Décloisonnement, ou isolement ?
La vie dans un open-space en flex constitue aussi une expérience en soi. Et le constat peut s’avérer être le contraire de ce qui est recherché : le décloisonnement souhaité n’a pas forcément lieu. Changer de place tous les jours peut même accroître l’isolement. Il y a tout d’abord le regroupement d’équipes ou de projet, qui crée des zones inhospitalières défendues par des hordes de Gollum protégeant leur Précieux, dans lesquelles il n’est pas bien vu de chercher une place si vous n’êtes pas « accepté ».
De même, chercher son collègue pour échanger sur un sujet peut devenir un parcours du combattant : quel bâtiment, quel étage ? Ah non, il est en télétravail. Autre point : la disparition des téléphones fixes au profit des casques. Il est fréquent de voir des collaborateurs conserver le casque toute la journée, faisant leurs réunions au milieu de tous. Pour peu que votre voisin ait la voix qui porte (en étant poli), cela devient vite contraignant. S’ajoutent à cela les discussions qui ne concernent pas le travail et rapidement un seul choix s’impose : mettre ses écouteurs pour se concentrer (ou éviter de subir les récits de week-end de vos collègues, au choix). Il n’est pas rare non plus qu’une réunion pour laquelle une salle a été réservée se déroule en call, seul l’organisateur ayant jugé utile de se rendre sur place alors que tous les invités sont installés dans le même openspace.
Préparer le changement
Perte de temps à chercher une place, communication et cohabitation parfois compliquées, outils instables…sont certes des arguments en défaveur du flex, mais constituent aussi les axes d’amélioration d’un mode d’organisation qui replace l’humain et son bien-être au centre des attentions. La mise en place du flex office est-elle suffisamment accompagnée ? Les collaborateurs sont-ils correctement sensibilisés ? Le management est-il assez impliqué ? Un changement aussi important doit être préparé, au risque d’être perçu comme imposé. Passer d’un bureau fermé à un open-space implique de changer ses habitudes et cela ne se fait pas du jour au lendemain. La communication doit être beaucoup plus présente, les collaborateurs davantage sensibilisés à ce qu’un tel changement implique de leur part (rappel des règles de bienséance). D’un autre côté, le flex doit encore gagner en souplesse en permettant le regroupement d’équipes tout en laissant la liberté que le système promet. Le flex office deviendra-il le meilleur exemple d’une conduite du changement réussie ?
L’auteur
Julien Ridde est Consultant Senior chez AdWay Conseil, cabinet du Groupe Square, depuis trois ans. Il accompagne ses clients en intervenant sur des projets tels que le déploiement d’outils, la digitalisation de l’information ou la mise en place de processus, principalement dans le domaine bancaire.
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