Toutes les strates de l’entreprise doivent être engagées dans la lutte contre la souffrance au travail. Car bore-out et brown-out peuvent mener au pire. Autant donc alerter bien en amont les instances dirigeantes pour, que in fine, toute la société puisse mieux respirer.
Actuellement, 3,2 millions de salariés français seraient “en risque élevé de burn-out”, selon le cabinet Technologia, spécialisé en prévention des risques psychosociaux. Dans le même temps, aux côtés de ce “syndrôme d’épuisement professionnel”, qui se caractérise selon l’INRS par une intense fatigue émotionnelle et un sentiment de non-accomplissement personnel au travail, sont apparues deux autres “pathologies” : le “bore-out” et le “brown-out”. Dans le premier cas, le travailleur tombe malade, non pas à cause d’une surcharge de travail, mais à force d’être sous-employé. Dans le second, le salarié plonge dans un état dépressif parce qu’il ne comprend plus le sens de son travail.
Comment les entreprises peuvent-elles lutter contre ces deux phénomènes ? Pour certains experts, les directions auront toujours un regard attentif sur leurs portefeuilles. “L’argent est, et restera, le nerf de la guerre même si notre vision et notre ambition sont plus noble. Une étude réalisée par notre société démontre que pour une entreprise française moyenne de 1 000 salariés, l’économie réalisée grâce à une démarche globale sur le bien-être et l’engagement est de l’ordre de 2 millions d’euros par an”, note Samuel Metias, co-fondateur de Comeet, une application destinée à recréer du lien social entre salariés.
Le management est pris entre la logique économique de l’organisation et la ressource humaine dont il convient de développer le potentiel. Un difficile équilibre à atteindre. “Nous essayons au maximum de créer un environnement de travail qui encourage l’épanouissement professionnel sans mettre en péril l’épanouissement personnel, car l’un va difficilement sans l’autre. L’objectif est d’être conscient et à l’écoute des situations de chacun. Si l’idée n’est pas d’offrir un traitement différent à chaque employé, elle est néanmoins de prendre en compte et d’accepter les différences de chacun. Nous répondons tous à des sources de motivation et de frustration différentes”, note Seval Foullane, responsable RH chez Indeed.
Ne pas gadgétiser le bien-être
Bien évidemment, outre ces considérations purement économiques, force est de constater que la prise en compte du mal-être au travail doit obéir à une réflexion plus globale. Il ne s’agit pas d’un énième gadget à mettre en place. Un pansement sur une jambe de bois, un happiness manager dans une entreprise en souffrance ne pourra faire de miracle.
“Derrière tous ces maux se trouve une perception erronée de ce qu’est réellement le bien-être au travail. Certains dirigeants, soucieux de rendre visibles rapidement leurs efforts pour contenter leurs salariés, le gadgétisent. Ils perdent ainsi de vue les véritables leviers d’engagement et de motivation des collaborateurs. Ce que les dirigeants doivent comprendre c’est qu’au-delà de la volonté évidente et altruiste de faire en sorte que leurs équipes soient heureuses au travail, il s’agit également d’une priorité stratégique pour leur entreprise”, remarque Seval Foullane. Et ce dernier d’ajouter plus avant : “Les employés qui se sentent considérés seront moins enclins à céder aux sirènes de la concurrence, seront davantage motivés et productifs. Il s’agit réellement d’une situation gagnant-gagnant qui ne doit pas être prise à la légère par les équipes dirigeantes.”
Culpabiliser la direction ne sert à rien
Pour autant, tous les experts interrogés pour ce sujet s’accordent à dire qu’il ne sert à rien de culpabiliser le management. Xavier Alas Luquetas, président fondateur d’Eléas, cabinet de conseils spécialisé en management et en prévention des risques psychosociaux, explique ainsi qu’il est impératif d’expliciter et de démontrer l’importance des hiérarchies dans la prévention de ce type de risque. Pour ce dernier, “il faut mettre à la disposition du management les outils et les dispositifs nécessaires (techniques d’entretien, modalités d’alerte, interlocuteurs, etc). De sorte qu’ils soient pro-actifs dans l’anticipation plutôt que dans une réaction trop tardive.” D’où la nécessité pour les différentes directions de placer la santé des collaborateurs au premier plan. À condition que ce même management soit un minimum exemplaire et que les actions suivent.
Action et réaction. “Si l’on veut vraiment enrayer ces phénomènes, il faut les encercler. Du dirigeant jusqu’au manager de proximité mais aussi en passant par le gestionnaire individuel, il s’agit de percuter ! Il faut déconstruire et reconstruire. L’avantage c’est que cela peut prendre très peu de temps. Nous sommes intervenues auprès de professionnels de santé, des gens à qui on ne la fait pas. En trois heures, nous avons provoqué de véritables prises de conscience mais nous n’avons pu le faire que parce que le décideur nous a appelé. Il a osé entrer dans le vif du sujet avec nous”, expliquent Sandrine Ausset et Sylvie Serre, fondatrices du cabinet 600 phenix.
Culpabiliser le management, on l’a vu, ne sert à rien. De même, il n’est pas question de plomber l’ambiance. “En dépit du thème, la construction et la réalisation peuvent permettre de rire. Cela participe d’ailleurs à l’impact. En réalité, tous les moyens sont bons. L’enjeu est d’obtenir des bénéfices profonds et durables. Si, à la suite de ces interventions, cela permet à un responsable de renoncer à créer un poste qui n’a pas de sens ou à un manager de mettre au placard une personne en comprenant qu’elle met ce même salarié en danger, alors l’entreprise aura fait un grand pas en avant”, concluent Sandrine Ausset et Sylvie Serre.