Management

Coronavirus : Un dirigeant peut-il tout dire?

L’épidémie de Covid-19 nous amène à nous poser la question suivante, autant éthique que stratégique ou politique : un dirigeant, qu’il soit chef d’État, ministre ou chef d’entreprise, peut-il tout dire ? Et doit-il tout dire ? Par Philippe Villemus, enseignant-chercheur à MBS.

La capacité à communiquer serait, selon beaucoup d’études sur le leadership, un critère déterminant pour devenir un leader. La communication est clé dans l’endiguement de l’épidémie, même si elle ne suffit pas, bien sûr, pour la vaincre. En revanche, une mauvaise communication, ou pas de communication, peut nuire à l’efficacité, voire engendrer des problèmes ou des dysfonctionnements.

Le secret est parfois requis

Dans la vie des organisations, le secret est parfois une obligation, même dans des démocraties avancées. Ainsi, en cas de guerre, un chef des armées ne doit pas révéler les plans d’attaque. Dans les entreprises, le secret des affaires est une nécessité ; on ne peut dévoiler la négociation d’un contrat.
Certains professionnels, tels les avocats ou les médecins, sont sévèrement tenus au secret professionnel (on parle de secret médical pour les soignants). Le secret professionnel ne doit être confondu ni avec le devoir de réserve, qui s’impose par exemple aux fonctionnaires, ni avec l’obligation de discrétion, qui protège les secrets d’une institution. Enfin, il faut aussi mentionner le respect de la vie privée, ainsi que la protection des sources des journalistes.
Dans le cas du coronavirus, nos dirigeants politiques n’ont pas d’informations secrètes à proprement parler à ne pas divulguer. En revanche, ils doivent faire montre de prudence dans toutes leurs déclarations et comportements.

Les dirigeants ne peuvent pas tout dire s’ils ne savent pas

Le traitement de la pandémie mondiale requiert une communication bien maîtrisée. Les leaders politiques mais aussi médicaux, comme Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, sont sans doute partagés entre le besoin de transparence exigé par les citoyens, et les incertitudes provoquées par l’épidémie.
Les dirigeants, face à cette crise, ne peuvent pas tout dire, parce qu’ils ne savent pas eux-mêmes tout. Le virus est une nouveauté. Les scientifiques qui les conseillent n’ont pas toutes les réponses, ne sont pas tous d’accord ou peuvent aussi se tromper. Il est donc difficile, dans ce contexte incertain et chaotique, de communiquer avec conviction. La communication d’un dirigeant, dans un contexte de changement ou de contingence, doit avant tout être sincère, modeste, motivante et cohérente.

La sincérité, mais pas toute la vérité

Les dirigeants doivent tout faire pour dire le plus de choses vraies. Cela s’appelle la sincérité : “Je ne peux pas tout dire, mais tout ce que je vous dis est sincère.” Ainsi, si la France manque de masques de protection, il est mensonger de déclarer le contraire. Il est sincère de déclarer que la France manque à ce jour de masques, mais qu’un plan d’actions a été lancé pour en obtenir d’ici tel délai. A condition bien sûr que cette promesse de plan d’actions soit effectivement tenue !

La modestie, plus que l’exagération

Un leader a le droit d’avouer qu’il ne sait pas ou qu’il a besoin de plus d’informations ou temps pour communiquer. Dans le cas du coronavirus, personne ne peut annoncer avec certitude la fin de l’épidémie. Les déclarations de matamore des chefs d’Etat, qui ont nié la gravité de la maladie et qui ont continué à serrer des mains, apparaissent aujourd’hui comme irresponsables. Comme celles et ceux qui, prétendus experts de la santé, écument les plateaux de télévision en dramatisant la situation.

La persuasion, mais pas la propagande

Le leader, dans sa communication, doit être persuasif et motivant. Dans le sens où il doit inciter les autres à faire quelque chose, à agir dans un sens, à se comporter de telle façon. Persuader, c’est présenter un message de telle manière qu’il provoque l’adhésion ou le soutien du récepteur. Dans le cas du coronavirus, il s’agit de persuader les Français de respecter strictement les règles de confinement, d’adopter les gestes barrières, de maintenir la distanciation physique. Sur ce point – et loin de nous l’idée de fustiger les décisions prises par l’exécutif dans un contexte aussi difficile – force est de constater que la communication n’a pas été assez motivante. Jusqu’au mardi 17 mars à midi, un nombre considérable de Français n’a pas appliqué les recommandations, alors un peu floues, des autorités publiques.

La cohésion, et pas la confusion

Les bons dirigeants sont intègres et cohérents. Les leaders perdent leur crédibilité quand les gens découvrent qu’ils mentent ou affirment des choses qu’ils ont grossièrement déformées. L’importance de l’ »honnêteté » se mesure en pensant à son contraire : la malhonnêteté. Cette dernière est une forme de mensonge, de déformation de la réalité. Même utilisée avec de bonnes intentions, elle crée de la tension dans la relation avec les autres. Quand un leader ment, il envoie un message inquiétant : il est prêt à manipuler les relations humaines.

Ce qui a pu brouiller la communication

Deux types de perturbations, endogènes et exogènes, ont brouillé et brouillent encore les messages des dirigeants français dans la lutte contre l’épidémie.
Les perturbations internes ou organisationnelles sont dues aux leaders eux-mêmes. Un de plus graves dangers qui menace tout leader demandant ou mettant en œuvre le changement est le manque de cohérence, voire de cohésion, dans ses propres actes ou ceux de son équipe rapprochée. Ainsi, le maintien du premier tour des élections municipales (nous ne nous prononçons pas sur le bien-fondé de cette décision) a pu être ressenti par une partie de la population comme une contradiction avec les recommandations de rester chez soi.
De même, expliquer aux Français qu’ils doivent rester chez eux, alors que par ailleurs on demande à beaucoup de continuer à travailler en se déplaçant pour les chantiers, les livraisons ou le courrier, n’est pas, au-delà de toute polémique, d’une limpidité cristalline.

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