Après un mois de confinement, la santé psychologique des salariés français est “largement atteinte”, analyse le cabinet Empreinte Humaine, qui vient de dévoiler un baromètre Opinion Way sur le sujet. Quelles sont leurs conditions de confinement ? Que pensent-ils des mesures mises en place par leur entreprise ? Se sentent-ils soutenus ? Que peuvent faire les entreprises ? Analyse.
Un mois après les débuts du confinement, 44 % des salariés sont en situation de détresse psychologique, 25 % présentent un risque de dépression, et 25 % déclarent que leur motivation professionnelle s’est dégradée : tel est le constat tiré par le cabinet Empreinte Humaine, à partir d’une étude Opinion Way auprès de 2003 salariés (1).
“Via nos lignes d’écoute psychologique et webinaires, nos équipes ont constaté une augmentation de la détresse psychologique que nous avons voulu évaluer avec cette étude. Ces résultats sont très préoccupants et montrent l’urgence d’agir”, observe Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine. “Nous en appelons à une véritable prise de conscience des pouvoirs publics et des entreprises. La crise sanitaire a pris de court toute la société, les entreprises y compris. Mais elle n’exonère pas de notre responsabilité en tant qu’employeur en matière de protection de la santé de leurs salariés. Après les gestes barrières, il convient de mettre en place des actions pour la sécurité psychologique” ajoute-t-il.
Selon l’étude Opinion Way, les managers sont particulièrement exposés, puisque 20 % d’entre eux vivent une “détresse psychologique élevée”. “Les managers sont un pivot central dans l’entreprise. Il faut prendre soin d’eux mais surtout leur donner les outils pour prendre soin de leurs collaborateurs”, note poursuit Christophe Nguyen.
Des conditions de (télé)travail difficile
“Le télétravail n’est pas en soi un facteur de risque, ce sont les conditions dans lesquelles il s’effectue qui présentent des facteurs aggravants pour les salariés”, précise Jean-Pierre Brun, co-fondateur d’Empreinte Humaine et expert conseil. Ainsi, seuls 45 % des salariés peuvent s’isoler toute la journée pour travailler. 60 % travaillent dans leur salon, et 25 % évoquent travailler dans une pièce fermée “mais n’étant pas dédiée initialement à cela” (chambre, salle de jeux, etc.). En outre, observe le cabinet, “être confiné dans un logement de moins de 40 m2 est un facteur de risque important puisque 24,6 % de ces personnes sont dans une détresse psychologique élevée”.
Enfin, les personnes confinées en couple (20 %) ou avec un enfant (22 %) vivent une détresse élevée plus importante que les autres (18 %). “La question de l’équilibre des vies en situation de confinement est devenu un facteur de risque”, indique Empreinte Humaine.
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Le chômage partiel ou total : un facteur anxiogène
Le chômage apparaît comme un facteur de risque, puisque 20 % des répondants au chômage partiel présentent une détresse psychologique élevée. Cette proportion monte à 25 % pour les salariés au chômage technique total. Un “facteur anxiogène”, selon Empreinte Humaine.
Motivation et performances régressent
“Une vigilance s’impose sur le suivi de la motivation professionnelle qui s’est détériorée pour 26 % des salariés depuis le début du confinement. Cette détérioration est de plus grande ampleur chez les femmes (30 %), les salariés d’IDF (31 %), et pour les salariés confinés avec un ou plusieurs autres proches (32 %)”, observe le cabinet.
En outre, les personnes présentant une détresse élevée considèrent que leur performance s’est dégradée de 50 %. “La santé psychologique, mais aussi la performance déclarée et la motivation se dégradent avec la durée du confinement. La question du lien entre performance et bien-être est encore plus d’actualité dans ce contexte. Nous allons réaliser d’autres sondages dans les prochaines semaines pour suivre les évolutions”, explique Christophe Nguyen.
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Des entreprises qui “n’en font pas assez en matière de sécurité psychologique”
7 salariés sur 10 considèrent que l’entreprise “fait son maximum” pour aider les salariés et 80 % ont confiance envers leurs collègues pour les accompagner. Lorsqu’on les interroge dans le détail, sur le soutien qu’ils estiment recevoir des différents acteurs de l’entreprise, les salariés plébiscitent principalement celui de leurs collègues (79 %), puis de leur N+1 (70 %). Viennent ensuite la direction de l’entreprise (67 %) et la DRH (59 %). Enfin 22,6 % d’entre eux disent que leur entreprise n’a mis aucune mesure en place.
Toutefois, “les salariés sont partagés quant à l’investissement de leur entreprise dans la santé psychologique et la prévention des risques psycho-sociaux des collaborateurs”, indique Empreinte Humaine. Ainsi, seuls 30 % d’entre eux sont d’accord pour dire qu’ils sont bien informés sur ces risques, que leur direction montre son engagement dans ce domaine et le considère “aussi important que la productivité”, ou encore que la prévention du stress implique tous les niveaux hiérarchiques de leur organisation.
“Les personnes vivent moins de détresse psychologique élevée si elles se sentent soutenues par leur direction (16 % vs 21 %), la DRH (16 % vs 20 %), leurs collègues (16 % vs 25 %). Ces marques de soutien sont une puissante protection de la détresse psychologique”, observe encore le cabinet. “Mais elles ne sont pas suffisantes pour réduire totalement la détresse psychologique. Il est temps de dépasser les uniques numéros verts sans logique de prévention de fond ou les apéros virtuels qui ne sont pas suffisants au regard des enjeux de santé publique et de mettre en place de vrais programmes de santé psychologique des salariés et des managers impliquant en premier lieu l’engagement des comités de direction”, note Christophe Nguyen.
“La grande majorité des entreprises font preuve de soutien. Mais sur le plan des risques psychosociaux, il est urgent de développer une culture de sécurité psychologique. A l’heure où les entreprises se projettent dans le déconfinement, cette étape doit prendre en compte l’état psychologique des personnes pour réussir”, conclut-il.
(1) Le Baromètre “Impact de la crise sanitaire sur la santé psychologique des salariés” Opinion Way pour Empreinte Humaine, a été réalisé en ligne. Les interviews ont été faites du 31 mars au 8 avril 2020 auprès d’un échantillon de 2003 salariés représentatif et constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de secteurs d’activités, de nature d’employeur et de taille d’entreprises. La mesure de la “détresse psychologique” se base sur un indicateur qui identifie, dans une population, les personnes qui sont plus à risque d’ être atteintes de troubles mentaux sérieux.