Les virus étant capables de modifier l’ADN d’un individu, le Covid-19 changera-t-il celui des entreprises ? Par Pascal Picq, paléoanthropologue.
Trois tendances s’affirmaient avant la pandémie de Covid-19 : l’hégémonie des géants du numérique ; une inquiétude sur les excès de la globalisation, et une réflexion sur l’implication sociétale des entreprises. A cela s’ajoutaient des mutations du travail et de l’emploi, avant même l’expansion de l’IA.
Ces tendances vont-elles s’accélérer, ou reviendrons-nous au monde d’avant ? Le fait que des secteurs aient été fortement touchés demande certes un assouplissement des réglementations environnementales, notamment pour préserver l’emploi. Mais cela ne peut être un prétexte pour éviter les changements impulsés par l’Europe (Green Deal), la France (lois Pacte) et la société elle-même.
Les transformations sociétales conduisent à une économie écosystémique. Et le bilan est sans appel : les entreprises qui ont mis en place de vraies politiques RSE dégagent plus de bénéfices que les autres. Dans le même temps, s’imposent des contraintes intergénérationnelles : les Millenials deviennent majoritaires, et les cadres plus âgés doivent s’adapter. De même que leurs entreprises.
Utiliser notre ADN social
Les géants du Web sortent gagnants de la crise. Ils ont prouvé leur efficacité, avec des outils performants d’échanges à distance. Ce que nous utilisions par nécessité intègre désormais la panoplie de nos méthodes de travail. Ce qui nous amène au télétravail et aux ressources humaines. Il faut sortir d’une organisation des tâches héritée du premier âge des machines. Non, ce n’est pas la fin du travail. Des professions seront impactées. Seulement, il ne faut plus réfléchir en termes de métiers, mais de tâches. Des tâches réorganisées, entre celles réalisables à distance, et celles nécessitant une unité de temps et de lieu.
En fait, les chimpanzés et nous appartenons à une lignée particulière avec des organisations sociales dites de fusion/fission : on se rejoint et on se sépare, selon les obligations et les envies. Évidemment, cela exige des codes et des règles. Compliqué ? Nullement. Il ne s’agit pas d’un retour à nos origines, mais d’utiliser notre ADN social pour s’adapter à un nouveau monde, dans l’intérêt de tous. Les personnes sont plus responsables et disposent de bien plus de ressources qu’on l’imagine. Il suffit de regarder ce qui s’est passé dans les hôpitaux où les soignants ont trouvé des solutions face à la crise. Quand les personnes sont mobilisées pour une cause commune, elles déploient leurs talents et se mobilisent, ce qui nous ramène à une réalité anthropologique fondamentale : œuvrer pour un même objectif, avec des valeurs partagées. Ce qui nous renvoie aux questions de RSE.
L’auteur
Pascal Picq est paléoanthropologue et enseignant au Collège de France. Ses recherches s’intéressent à l’évolution morphologique et sociale de la lignée humaine. Il étudie aussi le management des organisations, avec son concept “d’Anthroprise” (RH, anthropologie et éthologie).
Cette tribune fait partie d’un dossier spécial sur l’avenir des entreprises après le Covid-19, à retrouver dans le numéro 127 de Courrier Cadres, de juin-juillet 2020.