La crise du Covid-19 met en évidence l’importance déterminante des travailleurs dans la satisfaction des besoins sociaux et même dans la survie de nos concitoyens. Et pourtant, dans l’organisation sociale française, les travailleurs n’ont pas voix au chapitre dans la prise de décision – sauf dans le cas des coopératives. Par Dominique Méda, sociologue
Alors qu’en Allemagne, la co-détermination est en vigueur et que, selon la taille des entreprises, un certain nombre d’administrateurs salariés peuvent représenter leurs collègues. Alors que la participation des salariés à la gestion de l’entreprise a été proclamée en France dès la Constitution de 1946 et que deux représentants des salariés avaient fait leur entrée, certes avec voix consultative, dans les conseils d’administration en 1966, la loi Pacte récemment votée n’a accouché que d’une souris. Sont prévus au maximum deux représentants des salariés par conseil, et ce uniquement pour les entreprises de plus de 1000 salariés.
Le pouvoir aux salariés
Une telle organisation n’est plus possible. Dès 1985, aux Etats-Unis, dans le haut lieu de la dérégulation et de la théorie de la valeur pour l’actionnaire dont on a vu les ravages, le politiste Robert Dahl justifiait de manière philosophique la démocratisation de l’entreprise et de l’économie dans A Preface to economic democracy en rappelant notamment que si la démocratie est justifiée pour gouverner l’Etat alors elle l’est également pour diriger les entreprises.
Comme le citoyen, le salarié doit participer à la confection des règles auxquels il accepte d’obéir. C’est cette idée que nous avons à nouveau proposé dans un Manifeste, inauguré par huit chercheuses emmenées par Isabelle Ferreras, Julie Batilana et moi-même, signé par plus de 6 000 chercheurs dans le monde et publié dans plus de quarante pays.
Vers le bicamérisme économique
Le Manifeste propose une forme de bicaméralisme permettant aux apporteurs de travail d’être à égalité avec les apporteurs de capital et organise une co-décision des deux parties constituantes de l’entreprise. Il a suscité l’enthousiasme dans le monde entier, mettant en évidence qu’il s’agit là d’un momentum dont nous devons nous saisir. L’idée est que l’ensemble des décisions et du choix des dirigeants doit recevoir l’aval des deux « chambres », la chambre du Capital et la chambre du Travail et que chacune a donc un droit de veto sur les propositions de l’autre.
Certes, cette idée peut paraître révolutionnaire. Elle l’est autant que les diverses crises que nous traversons et auxquelles nous nous préparons. Elle est à la mesure des changements radicaux que nous devons engager aujourd’hui notamment si nous voulons engager nos sociétés dans la reconversion écologique qui s’impose.
L’auteure
Dominique Méda est sociologue et directrice de l’Irisso (institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales) de Paris Dauphine. Énarque, ex-inspectrice générale des affaires sociales (IGAS), ex-chercheuse à la DARES, elle a beaucoup écrit sur le travail et les politiques sociales.