Le gouvernement a annoncé le doublement de la durée du congé paternité, à partir de juillet 2021, de 14 à 28 jours. Sept jours devront obligatoirement être pris par les pères. Marie Donzel, directrice associée du cabinet de conseil en organisation Alternego, soutient cette mesure, mais la considère comme insuffisante. Pour elle, ce sont surtout les entreprises qui devraient s’efforcer de changer d’attitude vis-à-vis de la paternité.
Que pensez-vous du doublement du congé paternité : est-ce suffisant selon vous?
Ce n’est pas exactement un doublement, puisque jusqu’ici, nous étions à 3 jours d’accueil de l’enfant, plus 11 jours de congé paternité. Un congé qui n’était pas pris par 33 % des salariés hommes. Le passage à 28 jours est une bonne chose, mais c’est encore insuffisant. D’autant que, toutes proportions gardées, cette mesure ne coûtera pas si cher que cela (autour de 500 millions d’euros), et que des sommes bien plus importantes ont été dépensées ces derniers mois par l’État dans le contexte de la crise du Covid-19.
Cela reste intéressant, car nous revenons de très loin. Avec des résistances de toutes parts : chez les employeurs, comme chez les salariés eux-mêmes. Tout le monde semble avoir envie d’un meilleur équilibre vie professionnelle – vie personnelle. Tout le monde est pour un congé rallongé, mais peu de personnes ont envie qu’il devienne obligatoire et/ou coercitif. (1) En effet, certains n’ont pas forcément envie de l’utiliser, au moment où ils sont en pleine ascension de carrière, et où, culture présentéiste à la française oblige, ils pensent que c’est parce qu’ils vont se montrer qu’ils réussiront à obtenir quelque chose.
Une telle mesure a l’avantage de remettre les questions de parentalité et de paternité à l’agenda. De nombreuses études en font l’une des conditions pour améliorer le bien-être des enfants, la santé des mères, l’équilibre entre les temps de vie, l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, et l’évolution des mentalités dans les entreprises.
L’on peut espérer que dans 5 ans, celui qui n’aura pas recours à son congé paternité sera autant montré du doigt que la femme qui aura renoncé à la majorité de son congé maternité. Il s’agirait d’un changement radical d’état d’esprit, qui changerait aussi les façons de travailler, de s’organiser au travail. Il est saisissant de voir le retard que prennent les hommes pour annoncer leur paternité à leur employeur : alors que les femmes informent leur entreprise au bout de 12 semaines ; ils attendent en moyenne 7 mois pour le faire. Ce qui signifie qu’ils s’auto-censurent.
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Que devrait-on faire pour réellement inciter les salariés à avoir recours à leur congé paternité ?
Le problème, avec les 7 jours obligatoires pour les pères, c’est le risque d’instaurer un congé à deux vitesses. Celui qui sera en CDD, précaire, en mauvais termes avec son manager, se limitera probablement aux 7 jours ; tandis que le cadre pour qui tout va bien et qui sera en position de force n’hésitera pas à prendre 28 jours complets. L’erreur, ce serait d’instaurer une obligation faite à l’individu, là où il serait intéressant de travailler sur ce que les employeurs pourraient mettre en œuvre. Des mesures ne passant pas que par des obligations légales, mais aussi par un dialogue social de qualité, autour de la paternité.
Plutôt que d’instaurer 7 jours obligatoires d’une façon arbitraire, il serait préférable de faire de ce congé une nouvelle normalité. Par exemple, en faisant en sorte que les papas n’ayant pas pris leur congé renoncent à un certain nombre de droits dans leur entreprise ; notamment à une “prime à l’absentéisme”, qui remplacerait la primes au présentéisme.
Les entreprises doivent jouer le jeu : de la même façon qu’il leur est interdit de faire travailler une femme dans les 2 semaines précédant l’accouchement et les 6 semaines qui suivent, les employeurs devraient intégrer de façon banale le principe de l’absence du jeune père dans les semaines qui suivent la naissance d’un enfant.
Attendons de voir le contenu du décret qui instaurera cette mesure, mais pour l’heure, je n’ai rien vu de prévu pour que les employeurs accompagnent réellement la paternité des jeunes pères, avant et après la naissance. Par exemple, comme pour les femmes, ils devraient être forcés d’organiser des entretiens préalables au départ en congé paternité des hommes, durant lesquels ces derniers pourraient exprimer leurs besoins et leurs questionnements. De plus en plus, les salariés pères partagent la charge mentale de leurs compagnes, et ont peur d’être perçus comme désengagés par leur entourage professionnel, par exemple s’ils partent relativement tôt pour récupérer leur enfant à l’école. Les dirigeants doivent entendre que la conciliation des temps de vie est autant l’affaire des femmes que des hommes.
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Tout est en fait une question d’attitude de la part de l’employeur…
La posture managériale est fondamentale. Un texte comme celui-ci doit impérativement entraîner une transformation des postures, sans quoi il ne servira pas à grand chose et risquera d’instaurer dans la pratique un congé à deux vitesses. Les entreprises devront donc se saisir de cette mesure pour en faire un levier d’innovation managériale et de transformation des comportements, des habitudes et des normes dans la vie au travail.
Cela nécessiterait notamment une formation des managers à de nouvelles postures à adopter face à la question de la conciliation des temps de vie. Ils doivent apprendre à organiser le travail et à manager leurs équipes de façon à ne plus être dans le “command and control”, à donner davantage d’autonomie aux collaborateurs, et à rendre les horaires de travail plus flexibles.
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(1) Le congé maternité est obligatoire. Une mère doit cesser de travailler au moins 8 semaines sur 16, dont 6 après l’accouchement. Au-delà, elle peut renoncer à une partie de son congé. La “part obligatoire” du congé paternité rallongé devrait être de 7 jours, sur 28. Les contours du dispositif figureront dans un texte soumis au Parlement début 2021.