L’accord sur la santé au travail trouvé le 10 décembre ne convainc pas tous les partenaires sociaux. La CFTC reste réservée et se pose “beaucoup de questions”. La CGT a émis un avis négatif et dénonce des “reculs” pour les salariés, voire des points “dangereux” pour leur santé.
Jeudi 10 décembre, les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur un projet d’accord national interprofessionnel. Mais si la CFDT, FO et la CFE-CGC ont donné un avis favorable, et si le Medef salue un accord “novateur qui comptera dans l’histoire de la santé au travail”, il ne convainc pas tous les syndicats. Ainsi, la CGT a émis un avis négatif, et la CFTC refuse de se prononcer.
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“Beaucoup d’interrogations” (CFTC)
“Ce texte a des éléments positifs, et d’autres qui posent encore question”, explique Pierre-Yves Monteleon, responsable “santé au travail” de la CFTC. Selon lui, le fait qu’il “réaffirme que la prévention primaire est une priorité” est “positif”. Tout comme la création d’une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle au sein des services de santé. En revanche, déplore-t-il, “nous avons beaucoup d’interrogations face à des points trop vagues”. D’abord, dans le volet sur la prévention primaire, “rien n’est précisé sur les moyens qu’auront les représentants du personnel, ni sur le cadre qui entourera” la mise en place de CSSCT par les TPE/PME.
“Nous nous posons aussi des questions par rapport à la prévention des risques : quelle traçabilité des risques sera mise en place, au-delà du DUERP ? Le flou règne également autour du passeport prévention pour les salariés : en quoi consisterait-il exactement ? Pourrait-il constituer un frein à l’emploi pour ceux qui ne l’auraient pas utilisé ?”, ajoute le négociateur.
En outre, concernant la prévention de la désinsertion professionnelle, il note que “rien n’est précisé concernant les cas où la désinsertion proviendrait de l’organisation du travail”.
“Un accord qui dédouane l’employeur”
À la CGT, Jérôme Vivenza, de la commission exécutive confédérale, dénonce “le fait qu’il n’y a dans ce texte aucun nouvel droit pour les salariés, mais qu’au contraire, il porte de nouveaux reculs”.
Concernant la responsabilité de l’employeur, le syndicat pointe du doigt, tout comme il le faisait pour l’accord sur le télétravail, un texte qui “permettra aux dirigeants de se dédouaner facilement”. En effet, le projet d’ANI “met en avant une jurisprudence portant sur des risques psychosociaux, selon laquelle l’employeur n’est pas considéré comme responsable en cas de harcèlement moral ou de conflits internes, s’il a mis en œuvre des actions de prévention”, constate Jérôme Vivenza. Cette jurisprudence porte sur deux affaires où le juge a estimé que “le chef d’entreprise ne pouvait pas prévoir le risque de harcèlement moral ou de conflits entre salariés. Or, ces affaires remontent à 2002, à une époque où les RPS étaient encore peu étudiés, tandis qu’aujourd’hui, des dispositifs de prévention permettent aux employeurs d’évaluer ces risques”, explique le syndicaliste.
Mais pire que le fait de “trouver des excuses” à l’employeur, “ce texte risque de rejeter la faute sur le travailleur lui-même.” La CGT condamne ainsi un “transfert de responsabilités vers les travailleurs”. Selon Jérôme Vivenza, le salarié “qui aura suivi toutes les formations mises à sa disposition (via le passeport prévention), mais qui tombera malade, sera tenu pour seul responsable.” Pour le syndicaliste, “là encore, on dédouane les employeurs, même s’ils sont à l’origine de dysfonctionnements dans l’organisation du travail.”
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Médecins de ville et médecins du travail : un mélange des rôles dangereux ?
En outre, le fait que l’accord permette aux médecins de ville de suppléer les médecins du travail “pose problème, dans le cas d’un potentiel partage des dossiers médicaux de la Médecine du travail et des données de santé de ville”.
Jérôme Vivenza redoute un mélange des rôles dangereux : “La Médecine du travail participera-t-elle à des campagnes de vaccination ou de surveillance de la nutrition, ce qui ne serait pas son rôle ? Dans les entreprises qui ont testé des offres de services de médecine de ville pour les salariés, l’on a pu voir s’opérer des contradictions problématiques, avec des soignants prenant des décisions à partir de données qu’ils n’auraient jamais dû avoir. Par exemple, au moment de donner son agrément de conduite à un conducteur de train sous trithérapie, le médecin du travail n’est pas censé savoir qu’il suit un tel traitement”.
Les préventeurs des Carsat mis hors jeu ?
Reste un sujet moins médiatisé, mais important, selon Jérôme Vicenza : le rôle des contrôleurs / “préventeurs” des Carsat (Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail). Pour l’heure, ces derniers ont à la fois un rôle de conseil auprès des entreprises (ils identifient pour elles les risques pour les salariés) et d’assureur (de ces mêmes risques). Ainsi, après tout contrôle sur site, ils ont le pouvoir d’enjoindre les employeurs à corriger ce qui dysfonctionne (sous peine d’augmenter les cotisations).
“Mais l’accord, qui ouvrira la porte à une réforme, demande une ‘clarification’ sur leur double rôle conseil/injonction. Et risque de séparer ceux qui se déploient dans les entreprises et ceux qui donnent des injonctions. Les préventeurs des Carsat ne feraient plus que du conseil, sans pouvoir pousser les employeurs à prendre des dispositions”, explique Jérôme Vincenza.
“Il faut tout de même savoir que les préventeurs des Carsat aident beaucoup les salariés qui n’ont pas de représentants syndicaux, surtout dans les TPE/PME, et qui sollicitent en vain des inspecteurs du travail souvent débordés”, précise-t-il.