Entreprise

“Épuisés, les managers doivent aussi être attentifs à eux-mêmes”

Après une année passée à gérer leurs équipes à distance et en mode dégradé, les managers sont épuisés. 56 % sont en situation de “détresse psychologique”, 30 % en burn-out “sévère”. Comment les aider à ne pas s’oublier eux-mêmes ? L’analyse et les conseils de Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine.

Comment expliquer la détresse psychologique des managers ?

Depuis un an, nous avons pu voir, avec nos différents baromètres, que la population des managers était significativement plus exposée que les autres salariés à la détresse psychologique. Nous avons aussi constaté qu’ils avaient 2 fois plus de risques de tomber dans un burn-out sévère. Ils l’étaient moins avant la pandémie. Sans doute parce qu’ils bénéficiaient de davantage de facteurs de protection. Malgré des responsabilités et des exigences de plus en plus grandes, ils bénéficiaient d’une autonomie et d’une reconnaissance de la part de leur organisation qui compensaient les exigences portées sur eux.

Pendant la crise du Covid-19, ces exigences se sont révélées beaucoup plus impactantes pour eux : beaucoup de pratiques managériales ont été remises en question, dans le cadre d’un management à distance généralisé. Les managers, qui télétravaillent en grande majorité, sont 80 % à considérer qu’il est beaucoup plus difficile de manager à distance qu’en présentiel. Il s’agit d’une exigence supplémentaire, qui crée chez eux des difficultés nouvelles pour coordonner leurs équipes, mais aussi pour accompagner les salariés. En effet, ils sont aussi très inquiets (60 %) depuis un an pour l’état moral de leurs collaborateurs. Mais ils ont beaucoup plus de mal qu’avant à savoir comment ils vont, en raison de la distance. Tout cela se manifeste par beaucoup d’exigences et de fatigue.

Les managers ont vu leurs amplitudes horaires et leur charge de travail exploser. Par loyauté pour leur entreprise, ils se retrouvent souvent à faire énormément d’heures, à se rendre hyper disponibles pour leurs collaborateurs. Beaucoup se plaignent finalement d’être constamment en “mode crise” et en mode dégradé, ce qui est forcément très épuisant pour eux.

 

LIRE AUSSI : Un an de crise : Le télétravail plaît aux dirigeants, mais beaucoup moins aux managers

 

Comment les employeurs et les DRH peuvent-ils aider leurs managers à aller mieux ?

D’abord, en leur apportant du soutien opérationnel, et des accompagnements ; par exemple lors de webinaires, ou de moments de discussion entre managers. Il y a un vrai enjeu de créer du lien, comme ils le font eux-mêmes avec leurs équipes, mais entre managers. Ils ne doivent pas se retrouver seuls face à leurs difficultés, et il est ainsi important de les réunir régulièrement entre eux.

Les RH peuvent aussi leur fournir des outils et les former au management à distance. Mais l’enjeu n’est pas tant de les aider à adopter des techniques de management, que de leur donner des clés pour leur permettre de se protéger eux-mêmes. Il faut ainsi leur apporter des conseils pour qu’ils soient aussi attentifs à leurs propres signaux faibles et à leur propre épuisement.

L’enjeu est également de leur permettre de bénéficier d’espaces de récupération. Face à l’épuisement, qui peut aussi être lié à un trop grand nombre de visioconférences et à de fortes amplitudes horaires, les entreprises se doivent d’être attentives à la façon dont elles permettent à leurs managers de décrocher et de se ressourcer par des temps de pause et de récupération. Par exemple en arrêtant d’organiser des réunions entre midi et 14 heures, ou en diminuant les circuits de décision dans l’entreprise ; car des process trop lourds peuvent aussi peser.

 

L’idée est-elle aussi d’inciter les managers à agir eux-mêmes contre leur propre épuisement ?

Dans le cadre de formations, il faut en effet les inciter à être pro-actifs par rapport à la qualité de vie au travail, qui les concerne aussi. Il peut être utile de leur donner des repères, des conseils pour mieux compartimenter leurs temps de vie.

Les managers doivent être attentifs à eux-mêmes et leurs propres signaux faibles. Il faut les aider à repérer quand ils doivent lever le pied. Et les aider à comprendre pourquoi ils se sentent autant obligés de se surinvestir.

Les managers doivent aussi pouvoir en discuter avec leur hiérarchie : parler de leur charge de travail, de leur fatigue et de leurs besoins de récupérer. Le fait de permettre aux managers d’en parler est primordial ; quand on sait que la moitié d’entre eux font semblant d’être de bonne humeur, même quand rien ne va. Ils ne doivent pas continuer de serrer les dents en faisant comme si tout allait bien, par peur de démotiver leurs équipes. Ils doivent pouvoir en parler avec leurs responsables, avec la Médecine du travail, avec d’autres managers, voire avec leurs propres équipes.

 

LIRE AUSSI : Confinement : 44 % des salariés sont en situation de détresse psychologique

 

Aux collaborateurs eux-mêmes d’aider leurs managers, donc ?

Selon nos études, 56 % des managers étaient en détresse psychologique en décembre 2020, contre 50 % des salariés en général. Mais même si ces derniers sont également épuisés, ils sont de plus en plus préoccupés (35 %) par l’état mental de leurs chefs d’équipe. Il est important pour les entreprises de communiquer avec les salariés autour de ce sujet : leur propres chefs peuvent se retrouver en souffrance.

Cette vigilance doit être collective. Les collaborateurs eux-mêmes doivent pouvoir donner l’alerte. Il faut peut-être aussi apprendre à certains salariés à faire preuve de davantage d’empathie envers leurs managers ; même s’ils sont déjà massivement conscients du soutien que leur apportent ces derniers, et donc bienveillants envers eux.

Si l’on en demande beaucoup aux managers, il faut aussi les soutenir beaucoup : les aider à atteindre leurs objectifs et les accompagner. Car quand ils se retrouvent seuls, les managers ont tendance à s’oublier et à se sacrifier, par une loyauté démesurée. Il faut pouvoir travailler cela avec eux : les employeurs doivent leur permettre d’en parler avec les DRH, mais aussi avec leurs équipes, afin de remettre les choses à plat et de poser des limites si besoin.

 

Ajouter un commentaire

Votre adresse IP ne sera pas collectée Vous pouvez renseigner votre prénom ou votre pseudo si vous êtes un humain. (Votre commentaire sera soumis à une modération)