Présidente de l’ANDRH depuis juin 2020, Audrey Richard (DRH du groupe Up) est sur tous les fronts, comme la plupart des professionnels de son secteur. Elle nous expose les nouveaux enjeux auxquels elle est confrontée, et la manière dont elle aborde l’avenir.
Dans ce contexte de pandémie, diriez-vous que le métier de DRH a changé ?
Comme tous les DRH, je suis en première ligne pour gérer cette crise au quotidien. Nous le sommes depuis près d’un an, dès le mois de mars 2020 et le premier confinement, il a fallu être dans le feu de l’action. Avec le recul, notre métier a évolué dans le sens où nos priorités ont changé. Premièrement, nous sommes là aujourd’hui pour décortiquer les textes, directives, lois et autres projets. Certains peuvent arriver à 22h le soir pour application le lendemain à 8h. C’est quelque chose de tout à fait inédit. Notre rôle est aussi d’expliquer ces textes et ce qu’ils impliquent dans l’application opérationnelle. Il faut les expliquer aux managers, aux organisations syndicales et aux salariés. Nous faisons beaucoup plus de communication interne qu’auparavant. Troisièmement, nous travaillons avec nos équipes RH pour mettre tout cela en musique.
Pensez-vous que la période a élargi votre champ d’actions ?
Les trois briques que nous venons d’évoquer concernent le collectif. Aujourd’hui notre quatrième défi est aussi de prendre soin de nos collaborateurs. Pendant le premier confinement, nous avons mis en télétravail tous ceux qui pouvaient l’être. Dans le cas du groupe Up, nous avons un atelier de production ici à Gennevilliers qui nécessitent la présence des collaborateurs sur place. Un mode d’organisation hybride s’est donc mis en place. Pour certains salariés en télétravail, nous avons eu à gérer des situations individuelles de détresse et d’isolement. Nous avions alors pris la responsabilité d’en faire revenir quelques-uns avant le deuxième confinement. Cela nous a permis de montrer une autre facette de notre métier. Alors que la profession de DRH a pu souffrir une image écornée, la crise nous a mis sur le devant de la scène. Et nous avons montré que l’on était capable de gérer l’opérationnel et le stratégique, le collectif et l’individuel.
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En période de crise, le DRH intervient-il davantage dans la vie des collaborateurs ?
Nous sommes en première ligne, et c’est notre rôle d’être mobilisé dans ce contexte. Mais il est vrai qu’avant, les professionnels des RH étaient davantage amenés à gérer le droit du travail ; alors qu’aujourd’hui, nous sommes interrogés sur d’autres champs. Au sein de l’ANDRH, nous sommes très régulièrement sollicités par l’exécutif pour avoir des remontées terrain. Ce qui est quelque chose de très significatif et plutôt positif. Pendant cette période si particulière au niveau du groupe Up, nous avons été amenés à intervenir auprès de collaborateurs qui travaillaient sans interruption et qui n’arrivaient plus à s’arrêter. Ils ont pour certains rencontré des problèmes de sommeil ou encore de nutrition. Soit ils oubliaient de manger, soit se nourrissaient très mal. Nous avons dû intervenir là-dessus. Mais aussi sur des addictions avec certains salariés qui prenaient leur petit verre du soir de plus en plus tôt car ils se sentaient seuls et qui au final travaillaient en ayant bu de l’alcool. Nous avons vu s’élargir notre champ d’intervention et de compétences.
Comment travaillez-vous sur le monde demain ?
Une question centrale va se poser demain. Jusqu’où va le rôle de l’entreprise et quelles sont les limites de son intervention sur ces sujets-là. La santé, la sécurité oui après, il y a tout le reste. Il faudrait davantage délimiter les contours de l’action des entreprises. Mais pour l’heure tout reste encore flou. Cela permet de voir l’individu dans sa globalité, mais encore une fois je me questionne sur le degré d’interventionnisme des entreprises dans la vie privée des collaborateurs. Je n’ai pas de réponse à cette question mais cela fera assurément partie des sujets de demain.
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Quelles autres grandes évolutions vous avez remarqué ?
Cette crise a eu un impact incontestable sur l’organisation du travail. Les entreprises ont énormément avancé, notamment sur le télétravail, et il n’y aura pas de retour en arrière. Nous en connaissons tous qui étaient contre le télétravail. Aujourd’hui, après ce que nous avons vécu, je ne vois pas comment elles peuvent encore avoir des arguments contre ce mode d’organisation. La crise nous a permis d’avancer sur une transformation qui était en train de se faire depuis 15 ans et qui traînait. Les entreprises que nous avons interrogées par le biais de l’ANDRH nous ont dit qu’elles avaient gagné deux années de maturité digitale. Elles avancent beaucoup sur le télétravail et sont aujourd’hui en train de négocier des accords. On sent qu’elles souhaitent cadrer les choses.
Les managers sont-ils au centre de vos préoccupations ?
Il est évident que le management d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier. Aujourd’hui, le manager doit davantage miser sur l’autonomie et la confiance sinon cela ne fonctionne pas. Et c’est plutôt un mouvement positif car c’est aussi ce que veulent les jeunes générations. Au niveau de l’ANDRH, il y a eu beaucoup d’efforts de faits autour de l’accompagnement et la formation des managers et c’est une très bonne chose. Nous travaillons aussi autour de l’évolution des lieux de travail. Un certain nombre de DRH étant amenés à fermer des sites de petite taille notamment en région et proposent des solutions de co-working. Nous constatons que cela peut créer des opportunités de rencontres et de business, c’est donc intéressant.
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