Si le grand public apprécie les œuvres de Salvador Dali, c’est avant tout pour la folie qui s’en dégage. L’artiste travaillait pourtant de façon méthodique à retranscrire le réel tel qu’il le voyait vraiment. Et c’est peut-être bien cet ancrage dans la réalité qui nous touche tant et qui a permis à Salvador Dali d’accéder à une telle gloire.
Attacher Salvador Dali à un seul courant artistique est un exercice périlleux. “Le surréalisme c’est moi” : si cette citation est l’une des plus connues de l’artiste, il ne saurait pourtant pas être résumé à ce seul mouvement tant son parcours fut labyrinthique, touchant aussi bien au surréalisme, donc, qu’au cubisme ou au classicisme. Et ce tant dans la peinture que dans le cinéma, la scénographie ou encore la publicité. S’il est une chose à retenir sur la manière de travailler de Salvador Dali c’est son éclectisme. Un éclectisme dû à une très grande curiosité pour le monde qui l’entoure. Salvador Dali est un touche-à-tout parce qu’il s’intéresse grandement au monde réel et à tout ce qu’il produit : sciences, arts, actualités… Et c’est ce réel qu’il cherche à retranscrire dans ses œuvres, un réel un peu fou, le réel tel qu’il le perçoit. Si, dans ses jeunes années, Salvador Dali suit de près les mouvements artistiques modernes, tels que le cubisme, c’est auprès des surréalistes qu’il peaufine son éducation. Il leur emprunte quelques techniques, notamment d’écriture. Pour le scénario du film Le chien andalou, co-écrit avec Luis Buñuel, il utilise la technique du “texte automatique” lancée par Breton et Souprault. “Travaillant par questions et réponses immédiates, ils disent ce qui leur vient à l’esprit”, décrit Jean-Louis Gaillemin dans son ouvrage Dali, le grand paranoïaque.
Mais la méthode qu’il a développée et suivie une longue partie de sa vie, la technique paranoïaque critique, se distingue des surréalistes par son caractère actif. Si l’écriture automatique fait émerger des idées de manière passive, la méthode paranoïaque-critique part du réel pour le transformer par interprétations successives menées en pleine conscience. “Le mécanisme paranoïaque, par lequel naît l’image à multiples figurations, donne à la compréhension la clé de la naissance et de l’origine de la nature des simulacres, dont la furie domine l’aspect sous lequel se cachent les multiples apparences du concret”, explique l’artiste dans son ouvrage L’âne pourri. C’est en suivant cette méthode que Salvador Dali construit ses œuvres les plus connues qui jouent soit sur les images doubles (un objet qui représente deux choses différentes, comme dans le tableau Marché d’esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire) soit sur la métonymie (remplacement d’un concept par un autre par un lien logique sous-tendu, comme dans le tableau Le Grand Masturbateur où une plante phallique et la langue d’un lion suggèrent une fellation).
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Un artiste ancré dans le réel
La méthode paranoïaque-critique est inspirée par la lecture des théories freudiennes, comme le rappelle le catalogue de l’exposition consacrée à l’artiste au musée Georges Pompidou en 2013. Car aussi folles que peuvent paraître les œuvres de Salvador Dali, elles sont belles et bien ancrées dans le réel. L’artiste consacre en effet une grande importance à la psychanalyse en particulier et à toutes les sciences en général. Et s’en inspire dans ses œuvres. Au-delà de la méthode paranoïaque-critique et de ses inspirations freudiennes, Salvador Dali intègre les recherches atomistes – notamment les traités du physicien Werner Heisenberge et du mathématicien Matila Ghyka – dans ses œuvres (comme le tableau Croix nucléaire). “Les deux dernières décennies de l’artiste, qui meurt le 23 janvier 1989, seront principalement dévolues à des recherches sur l’optique. Dali expérimentera deux procédés : la stéréoscopie et les hologrammes”, ajoute Catherine Grenier dans son ouvrage Salvador Dali, l’invention de soi.
Car si Salvador Dali est connu pour travailler sans interruption dans un isolement total – le fameux systématisme Dalinien qui consiste en un programme méticuleux -, il n’est pas pour autant coupé du monde. Le réel est pour lui très important et il travaille justement à le révéler tel qu’il est. Ce qui le distingue fortement des surréalistes. “Savoir regarder est un moyen d’inventer”, a-t-il déclaré dans un texte publié en 1927. Salvador Dali accorde donc de l’importance aux paysages et situations qui l’entourent, qu’il mémorise dans les plus infimes détails grâce à une acuité visuelle exceptionnelle. Il collectionne par ailleurs de nombreuses images (reproductions d’œuvre d’art, cartes postales érotiques, chromos, devinettes illustrées, paysages, images scientifiques, photographies botaniques…) dont il s’inspire pour construire ses œuvres. Un artiste en harmonie avec son temps, en somme, qui a su trouver son public en lui offrant son interprétation de la réalité mais également en l’invitant à s’engager lui aussi dans ses œuvres. Car les peintures de Salvador Dali ont cela d’amusant : les interpréter et trouver les images cachées.