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Comment manager les salariés introvertis

Dans une société qui valorise l’action et la communication, les introvertis, tournés vers la réflexion et le repli sur soi, sont, à tort, considérés comme timides et passent inaperçus dans le monde du travail. Pourtant, ils ont de véritables atouts en entreprise. Comment aider ces profils discrets à s’épanouir ? Comment leur laisser la place pour s’exprimer ? Pour Violaine du Boucher, coach et spécialiste de l’introversion au travail, le rôle des managers est crucial.

Pourquoi vous êtes-vous spécialisée dans l’introversion au travail ?

Chargée de communication en agence et en entreprise durant une dizaine d’années, j’ignorais, pendant mon parcours que j’étais introvertie. Mais je sentais bien que l’on attendait parfois des choses de moi que je ne pouvais pas forcément offrir. Je recevais des remarques déstabilisantes. On m’a dit que j’étais trop discrète, que je ne prenais pas assez la parole. Au lieu de m’accompagner et de travailler sur mes points de force, on passait plutôt par des injonctions. Certains managers me comparaient, par exemple, à des personnes extraverties prenant beaucoup d’initiatives, s’exprimant facilement en groupe et en public : ils me demandaient d’être davantage comme elles. Cette façon de faire est extrêmement violente, car au lieu de vous motiver, cela vous met en échec et impacte votre confiance en vous.

Pourtant, les introvertis, profils peu valorisés dans les entreprises, ont de nombreux atouts. Encore faut-il leur permettre de s’exprimer. Si prendre la parole est difficile pour eux, c’est parce qu’ils ont besoin de temps pour traiter l’information, l’assimiler, faire des liens profonds et élaborer une opinion. Ils sont souvent considérés comme timides, mais la réalité est qu’ils ont simplement un tempérament et une façon de gérer leur énergie qui ne sont pas bien accueillies par un monde du travail valorisant la loquacité, la réactivité, les interactions… des qualités généralement associées aux extravertis. C’est pourquoi j’essaie aujourd’hui d’aider les introvertis à comprendre leur mode de fonctionnement, et à capitaliser sur leurs atouts, plutôt que se conformer à une norme qui correspond à l’idéal de l’extraverti.

 

Pourquoi les entreprises devraient-elles s’intéresser aux profils introvertis ?

Aujourd’hui, subsiste une petite ritournelle qui dit que pour être un bon professionnel et gravir les échelons dans l’entreprise, voire devenir manager ou leader, il faut être à l’aise en public, très enthousiaste, entouré et avoir des milliers d’idées par minute. Or il est intéressant de prendre le contre-pied et de considérer qu’il existe 30 à 50 % d’introvertis dans les entreprises, mais qu’ils passent simplement inaperçus, quand ils ne sont pas suffisamment accompagnés, ou qu’ils se forcent à ressembler à des extravertis. Il faut s’y intéresser dans une logique d’inclusion et aussi de complémentarité, en cherchant à s’enrichir de l’ensemble des profils et des compétences disponibles, plutôt que d’essayer de transformer tout le monde en clones.

Les introvertis sont des personnes tournées vers le monde des idées, vers l’intérieur, dans une réflexion permanente et une lecture de tout ce qui les entoure. Si bien qu’ils sont très vite fatigués au contact de stimulations extérieures fortes, comme les groupes ou le bruit, alors que l’extraverti, lui, s’en nourrit. Ces profils d’apparence réservés ont besoin de davantage de temps de pause et de calme pour recharger leurs batteries. Ils s’orientent souvent vers des métiers qui font la part belle à l’analyse en profondeur, à la maîtrise d’un sujet sous toutes ses facettes, à la créativité, et qui leur permettent de se ressourcer au fil de l’eau. Alors que les extravertis sont tournés vers l’action, les introvertis sont tournés vers la réflexion. On les repère facilement : ils réfléchissent souvent longuement avant de s’exprimer, mais une fois qu’ils le font, leur parole a de la valeur. Tandis que les extravertis réfléchissent en parlant et sont très réceptifs aux défis, ainsi qu’à la pression.

De nombreux atouts chez les introvertis sont méconnus et donc mal exploités. Ces profils présentent bien des qualités, liées à leur fonctionnement biologique, qui se rapprochent énormément aujourd’hui des compétences comportementales, les soft skills attendues dans le monde de l’entreprise. Ils font preuve d’écoute, ce qui est indispensable pour prendre des décisions et orchestrer un travail. Ils ont aussi une forte capacité d’analyse, ce qui est extrêmement utile dans des environnements où la pensée complexe est nécessaire. Ils sont capables de se saisir de sujets à débroussailler, sur lesquels il faut établir des liens, poser des hypothèses, proposer des solutions. Cela va de pair avec leur capacité à traiter les sujets en profondeur, leur sens du détail et leur rigueur. Leur pensée critique, très développée, est aussi une compétence très attendue aujourd’hui au travail, surtout chez les cadres et les managers : être capable de trouver du sens, de questionner certains paramètres pour pouvoir prendre les bonnes décisions, orienter les actions, développer une vision et l’installer dans le temps. Enfin, ils ont d’importantes capacités de concentration et d’organisation, qui leur permettent d’abattre beaucoup de travail.

Tous ces talents sont souvent sous-estimés parce qu’ils ne sont pas forcément visibles, mais aussi parce que les personnes introverties possèdent une humilité très marquée. Elles ne communiquent que peu souvent sur ce qu’elles accomplissent et réussissent. Mais lorsque vous les placez au bon endroit, dans le bon contexte et que vous leur accordez votre confiance, ce sont des individus qui vont faire des merveilles. Ils travaillent d’ailleurs très bien avec les extravertis, car ils leur apportent leur faculté à se poser, à regarder les choses avec plus de recul et à questionner certaines zones d’ombre. Tandis que les extravertis apportent leur capacité d’exécution multiple et rapide, ainsi que leur habileté à collaborer.

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Comment les managers peuvent-ils aider les salariés introvertis à s’épanouir pleinement ?

Tous les introvertis ne répondront pas aux même sources de motivation, mais un manager qui fait face à un tel profil doit avant tout accepter qu’il suit une temporalité particulière et qu’il appréhende le monde ou les situations d’une façon différente. Il doit ensuite adapter ses modes de communication et de collaboration en fonction de cela. Dans son rapport au travail, un salarié introverti a besoin de davantage de temps qu’un extraverti. Il faut par exemple accepter que certaines discussions se fassent en plusieurs fois, que l’introverti revienne avec des questions alors que le sujet qu’on lui avait délégué quelques jours auparavant avait l’air d’être clair et sans besoin d’être affiné, ou encore qu’il préfère communiquer par écrit, via les e-mails, mais aussi les messageries instantanées, et d’une façon asynchrone.

Les introvertis ayant tendance à travailler en sous-marin et en retrait, de par leur autonomie et leur humilité, le manager doit être vigilant sur la tenue régulière de entretiens en face à face. Avec des temps d’échange dédiés, dans une posture de disponibilité totale, si possible comme un coach. Il gagnera aussi à apporter beaucoup de sens et de contexte : ce qui motive un introverti, c’est de savoir pourquoi on lui confie telle ou telle tâche et ce à quoi il pourra contribuer en l’accomplissant. Par ailleurs, le manager doit prendre garde à ne pas bousculer son collaborateur introverti, en évitant les changements brusques et de dernière minute ou encore les deadlines trop serrées, car une situation de stress lui ferait perdre ses moyens. Au contraire, l’idée est de le sécuriser, d’écouter ses questionnements et de l’accompagner vers la mise en mouvement quand celle-ci patine. La valorisation de sa contribution au sein de l’équipe est aussi un levier très précieux de motivation pour lui. En matière de tâches, mieux vaut privilégier celles qui sont adaptées aux capacités de l’introverti : celles qui demandent une grande rigueur, une analyse fine, des propositions élaborées permettant de prendre de la hauteur.

Le manager peut également accompagner son collaborateur vers une meilleure aisance en public et une plus grande visibilité, des points attendus en entreprise, mais sur lesquels il peut parfois être pris en défaut. Il ne faut surtout pas lui demander d’être quelqu’un d’autre et d’essayer d’agir comme un extraverti, mais simplement l’inciter à prendre la parole à chaque réunion, même s’il s’agit simplement de poser une question. Cela paraît être du bon sens, mais pas pour les introvertis, qui ne parlent que quand ils ont quelque chose d’important à dire. L’idée est de poser un cadre qui soit accessible pour le collaborateur introverti et qui permettra aussi d’étendre son champ de visibilité et d’influence. Cela peut notamment passer par la tenue de réunions longuement préparées à l’avance, avec un ordre du jour, afin de lui permettre de mûrir ses idées avant de les partager. Il faut lui laisser le temps de réfléchir et de s’exprimer clairement, même si l’on évolue dans un environnement où tout doit aller vite. L’idée, finalement, n’est pas de le stigmatiser avec des injonctions handicapantes, mais de faire en sorte qu’il puisse être en mouvement et acquérir de nouvelles compétences, ainsi qu’un peu plus de souplesse, afin de mieux correspondre aux attentes générales du monde du travail.

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Le travail hybride change-t-il quelque chose pour les introvertis ?

Il va plutôt dans leur sens car il est davantage adapté à leur fonctionnement. Ainsi, le télétravail, dans la façon dont on l’aborde aujourd’hui et dont on le met en place dans les entreprises, joue plutôt en leur faveur car on revalorise le travail en mode asynchrone. Le temps d’échange en visioconférence comme en présentiel est de plus en plus optimisé, chacun se préparant en amont. Il y a aussi de plus en plus de règles fixées pour bien définir les types d’échanges et les objectifs de chaque interaction, en présentiel et en distanciel : ce cadre est très sécurisant pour l’introverti, car il laisse moins de place aux imprévus.

Enfin, nous assistons actuellement à l’avènement du « deep work » ou travail de concentration, avec de bonnes pratiques en matière de gestion du temps, comme le fait de bloquer des créneaux dans son agenda pour avancer sur des tâches de fond. Or, ce sont des méthodes et des réflexes que les introvertis ont déjà, puisqu’ils aiment travailler sur un seul sujet à la fois pour en maîtriser les tenants et les aboutissants. Finalement, on voit donc que nombre de choses assez intuitives ou déjà exploitées par les introvertis sont aujourd’hui généralisées et structurées, de par le développement du travail hybride.

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Quels conseils donneriez-vous au collaborateur introverti ?

S’il connaît bien son introversion, il gagnerait à nommer son fonctionnement, à en parler à son manager et à exposer ses préférences en matière de communication, de collaboration, de feed-back….

Ensuite, attention à sa ressource d’énergie disponible, car celle-ci peut vite être consommée dans un contexte professionnel : cela signifie qu’il doit bien organiser son emploi du temps. Par exemple, une heure de réunion sera très fatigante pour un introverti et il faut donc qu’il s’assure qu’il y aura un temps de pause ensuite. Il peut aussi bloquer des créneaux, dans sa semaine, où travailler dans le calme sans être interrompu, ainsi que faire une pause récupératrice. Car une sur-stimulation risquerait de l’épuiser et de diminuer drastiquement sa performance.

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