En 2024, pour la deuxième année consécutive, Londres a décroché la première place dans le classement réputé des “meilleures villes au monde” de Resonance Consultancy. En dépit de crises simultanées – sociale, politique et économique -, la capitale britannique attire toujours autant de professionnels français, ainsi que d’investisseurs, d’étudiants et de touristes de l’Hexagone. Au point d’être qualifiée, il y a quelques années, par Emmanuel Macron comme la “sixième ville française”. Le Consulat général de France estimait, alors, le nombre de ressortissants français à 300 000. Depuis le Covid-19, toutefois, “il y a eu une petite hémorragie dans les communautés d’expatriés”, reconnaît Miriam Schmidkonz, membre de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) franco-britannique à Londres, et directrice de l’EM Normandie Business School à Oxford. Ces derniers étant éloignés de leurs proches en raison des restrictions de déplacements liés à la situation sanitaire, ou bien de difficultés financières, “des mouvements de retours définitifs dans le pays d’origine ont eu lieu”, confirme-t-elle. Désormais, le Consulat général de France enregistre entre 200 000 et 250 000 ressortissants français.
Lourdeurs administratives
L’entrée en vigueur du Brexit en 2021 s’est ajoutée à la crise sanitaire. Si historiquement le Royaume-Uni est un pays d’immigration, les démarches administratives pour demander un Settled Status (“statut de résident permanent”) se sont complexifiées. Le Home Office britannique a fixé des conditions plus strictes à son obtention, comme le montant de la rémunération brute annuelle. En avril 2024, elle est passée de 26 200 à 38 700 livres par an, soit de 30 000 euros à 45 000 euros de salaire annuel. Cette annonce du ministre britannique de l’Intérieur, James Cleverly, en décembre dernier, avait entraîné une forte demande de “Skilled workers visas”. En prévision de salaires plus élevés à verser aux travailleurs étrangers, les employeurs britanniques s’étaient empressés de recruter. “Désormais, les entreprises doivent être sacrément motivées pour recruter des salariés étrangers, commente Miriam Schmidkonz. Elles doivent avoir une bonne connaissance de cette complexité administrative, accepter de dépenser plus de frais, et prouver que la main-d’œuvre recherchée n’est pas présente sur le sol national.” Et si ces dernières ne respectent pas scrupuleusement ces démarches, elles s’exposent à des sanctions financières conséquentes, ainsi qu’à l’expulsion immédiate des salariés. Cette mesure vise à inciter les entreprises britanniques à embaucher des travailleurs locaux.
C’est donc peu dire que cette décision gouvernementale a d’importantes conséquences sur l’économie : “Certains secteurs, comme la santé, le tourisme, ou encore le divertissement, étaient déjà en souffrance en termes de recrutements. Cette mesure aggrave leur situation, ils ne peuvent pas proposer un tel niveau de rémunération aux candidats dont ils ont besoin. Beaucoup viennent d’Espagne ou du Portugal”, précise la membre de la CCI franco-britannique à Londres. À l’inverse, certains secteurs tirent leur épingle du jeu, comme les grandes entreprises internationales localisées dans La City, le cœur financier de Londres, et spécialisées dans le secteur bancaire, le développement informatique, l’intelligence artificielle, ou encore la construction. “Autrefois, ces emplois pouvaient être occupés par des anglophones natifs disposant d’un français rudimentaire. Mais aujourd’hui, cela ne suffit plus”, indique Tom Eaton, directeur régional de Randstad pour les professionnels au Royaume-Uni. Miriam Schmidkonz abonde en ce sens : “Ces entreprises recrutent de la main-d’œuvre qualifiée venant de France ou d’Allemagne. Généralement, ces profils parlent plusieurs langues, disposent d’une grande mobilité intellectuelle, et sont en phase avec le management interculturel. Pour ces salariés, Londres est un eldorado !”
Contexte inflationniste
Mais ni les uns ni les autres n’échappent à la troisième crise qui frappe le voisin anglais : l’inflation ! En octobre 2022, elle a dépassé les 11 % selon l’Office national des statistiques (ONS). Du jamais vu depuis 1981. Le coût des logements et des transports a été fortement impacté. “Avant, seuls les étudiants se tournaient vers les colocations, maintenant même de jeunes professionnels sont contraints d’opter pour cette option », déplore Miriam Schmidkonz. Et s’éloigner du centre-ville n’est pas forcément judicieux, car “cela revient à payer davantage pour se déplacer”, regrette-t-elle. “Un aller simple dans la Zone 1 de notre système ferroviaire souterrain coûte environ 3,30 euros avec une carte Oyster, contre 2,10 euros pour l’équivalent du métro parisien”, illustre Tom Eaton.
Rayonnement culturel
Fort heureusement, l’inflation est redescendue à 3,2 % en mars 2024. De quoi relancer le marché du travail très libéral au Royaume-Uni. “Les employeurs recrutent plus facilement qu’en France des profils avec un niveau d’études moins élevé. Les salariés peuvent évoluer rapidement, et changer ensuite de métier s’ils le souhaitent. En revanche, ils doivent être performants, notamment les deux premières années, sinon ils sont aussi licenciés plus facilement. C’est un dynamisme économique challengeant que nous apprécions”, confie la dirigeante londonienne.
L’autre aspect majeur qui fait de Londres une ville au rayonnement puissant : sa culture. “C’est une ville d’études. Nous avons des bibliothèques exceptionnelles, ainsi que des musées gratuits, accessibles aux jeunes et aux familles. Cela favorise l’ouverture d’esprit et l’instruction”, affirme la directrice d’école de commerce. Non loin de la capitale se trouvent deux des meilleures universités au monde : Oxford et Cambridge, qui attirent “professeurs et chercheurs de renom du monde entier”, rappelle-t-elle, fièrement. Londres mise également sur ses stars emblématiques – comme les Beatles, John Lennon ou encore David Bowie – ; sur ses célèbres comédies musicales – comme Le Fantôme de l’Opéra et Le Roi Lion – ; et encore sur ses petits clubs cachés dans les recoins de la ville. “Londres est une ville sécurisante, où l’on se sent bien. Le flegme anglais, le calme et la courtoisie des Britanniques, y sont pour beaucoup”, termine Miriam Schmidkonz.