Lorsqu’une entreprise est absorbée par une autre, elle se vide de son activité pour la transférer à la société accueillante. Cette opération s’appelle la transmission universelle de patrimoine (Tup). Si les contrats des salariés sont préservés en l’état, les accords collectifs négociés par la société absorbée sont mis en cause. Les explications de Jérôme Cordier, avocat à la cour.
Qu’est-ce que la transmission universelle de patrimoine (Tup) ?
Pour une société qui se fait absorber par une autre entreprise, cela consiste au transfert de son actif et de son passif, soit de l’intégralité de son activité, avec créances, dettes, capitaux, moyens matériels, corporels et incorporels, à une autre entreprise. Par voie de conséquence, cela implique le transfert des salariés et de leur contrat de travail. Après transmission, la structure d’origine devient une coquille vide. Soit elle est dissoute, soit elle peut être conservée pour un autre usage.
La Tup est-elle la seule manière de fusionner avec une autre entité ?
Il peut y avoir d’autres types de fusions, par exemple quand il y a un transfert partiel d’actifs, mais alors il n’y a pas de transmission universelle. Par exemple, il peut s’agir d’un brevet ou d’une chaîne de production, ce qui peut impliquer aussi des salariés. Mais dans une absorption à proprement parler, il y a toujours transfert universel.
Cette transmission comporte-t-elle des risques ?
Je ne dirais pas qu’il y a des risques, mais cela entraîne des conséquences, notamment fiscales : on transfère une comptabilité, tout un ensemble de dettes ou d’avoirs, donc il y aura tout un chantier fiscal à traiter. Il y a aussi beaucoup de conséquences sociales.
Quelles sont-elles ?
C’est un cas très clair d’application de l’article du code de Travail L1224 – 1, anciennement connu sous le nom de L122-12-1, qui prévoit le transfert de l’ensemble des contrats de travail au nouvel exploitant. Le texte de base permet d’effectuer ce transfert automatiquement et sans besoin de leur accord. Cela ne dépend ni des salariés, ni des deux sociétés.
Néanmoins, les conséquences vont être différentes selon que la structure dans laquelle on va transférer l’entreprise est vide ou compte déjà des salariés. Dans le premier cas de figure, il n’est pas compliqué de répliquer l’ensemble des statuts collectifs et des accords d’entreprises… La vie continue comme avant. Tout ce qui est d’usage est aussi maintenu, c’est-à-dire ce qui ne résulte ni du contrat, ni des accords collectifs, mais qui est une pratique constance. Par exemple, un jour de congé supplémentaire à Noël : si c’est un cadeau fait par l’employeur, à force de le répéter, c’est devenu un usage. Cela devient source de droit pour le salarié.
En revanche, c’est différent si les salariés entrent dans une structure déjà existante avec d’autres collaborateurs bénéficiant d’avantages propres. Les contrats sont maintenus, certes, mais ils définissent pas toute l’organisation du travail. Il faut aussi prendre en compte les accords d’entreprises et conventions collectives. Or, le transfert équivaut de façon pratique à une dénonciation de ces accords, ils sont mis en cause. Les effets qu’ils induisaient vont se transmettre mais seulement de manière temporaire, sur une période de 15 mois. Ce laps de temps permet de pouvoir renégocier les points concernés au moyen d’accords de substitution.
Les salariés peuvent-ils malgré tout bénéficier des nouveaux avantages de l’entreprises accueillantes ?
Durant cette période, il y a en quelque sorte l’application double des statuts conventionnels. Le salarié peut choisir de quel statut il veut bénéficier, sur une question précise, entre celui qui était le sien auparavant et celui des salariés de la société absorbante. Par exemple, la durée de congé maternité est rallongée d’un demi mois avec les accords de l’entreprise absorbante et d’un mois complet dans la structure accueillante. Une salariée qui rejoint la société absorbante pourra bénéficier de ce nouvel avantage. Mais tout cela est théorique. Dans les faits, il n’est pas rare de s’apercevoir que l’entreprise accueillante applique ipso facto les accords déjà en place chez elle.
Comment le salarié peut-il réclamer ses droits si c’est le cas ?
Il faut recourir aux prudhommes.
Que se passe-t-il une fois la période de 15 mois écoulée ?
Si rien n’a été conclu, les accords mis en cause cessent et ceux de l’entreprise absorbante sont appliqués. Cela dit, ce n’est pas vrai pour les accords individuels car ils s’incorporent au contrat de travail. Mais ce n’est le cas que lorsqu’il s’agit d’un avantage individuel acquis.
C’est-à-dire ?
Par exemple, si l’entreprise qui va être absorbée a un accord sur un congé de maternité majorée, il y a deux cas de figure. Les salariées qui étaient enceintes et avaient bénéficié de cet avantage, pourront de nouveau en profiter après absorption et dans la limite des 15 mois. En revanche, celles qui n’en avaient pas profité ne pourront pas le faire une fois entrées dans la nouvelle entreprise, car elles n’ont pas acquis cet avantage avant l’absorption. Ce genre de choses peut poser problème lors d’une Tup.
Qu’en est-il des conventions de branche ?
Elles ne sont pas dépendantes de l’employeur mais de l’activité. Quand il y a transfert dans une structure vide de l’intégralité d’une société, la convention collective de branche reste la même. En revanche, quand la société est absorbée par une entité d’une autre branche, par exemple une entreprise qui relève du commerce vers une société de la métallurgie, souvent l’ensemble du statut collectif se révèle très différent. Ce n’est pas le même régime de retraite, de prévoyance, ni le même code du Travail. Il faut donc adapter, cela prend du temps.
Comment cette adaptation peut-elle être réalisée ?
La Tup peut être faite de deux façons. Je peux directement transférer l’activité auprès de la société absorbante. Sinon, je peux le faire en procédant en deux étapes. Je crée par exemple une filiale C au sein d’une société absorbante A pour intégrer l’entreprise B. Je fais un premier transfert de B vers C. Puis je profite ensuite de la période de remise en cause pour modifier par anticipation les statuts collectifs. Parfois, ce n’est pas indispensable s’il y a similarité des statuts, par exemple. Mais si c’est utile, ce temps permet de réaliser ce travail de préharmonisation pour absorber ensuite B devenue C dans A.
Si les accords étaient plus avantageux avant absorption, les avantages vont-ils forcément être revus à la baisse ?
Non, l’entreprise d’accueil peut décider d’harmoniser et de faire profiter les salariés déjà présents des mêmes avantages que les collaborateurs arrivant. Les syndicats de l’entreprise peuvent demander que les mêmes choses soient attribuées à tout le monde. Mais au niveau des ressources humaines, cela reste de toute façon très compliqué à gérer car il y a autant de cas particuliers que de salariés.