Pratiqué dans certains pays comme la Suisse, le jobsharing consiste à s’organiser en binôme avec un autre salarié pour se partager un poste. Il permet d’offrir à la fois la possibilité de travailler à mi-temps tout en conservant une fonction d’importance au sein d’une entreprise. Néanmoins, le forfait jours et les dispositions du temps partiel rendent son application difficile en France.
Faire carrière tout en étant à mi-temps ? C’est possible dans certains pays, notamment en Suisse, grâce au jobsharing. Ce mode d’organisation du travail consiste à partager un poste avec un autre salarié. Dans le pays helvétique, il est revendiqué par l’association Go for jobsharing* comme moyen pour réussir professionnellement tout en maintenant un bon équilibre vie privée, vie professionnelle. Mais le système est-il applicable en France ? “D’un point de vue juridique, il n’existe aucun texte encadrant le jobsharing, explique Alice Mony Decroix, avocat à la cour du cabinet Bredin Prat. Ce que l’on observe, c’est que pour chacun des salariés, cela revient à travailler moins qu’un temps complet et selon les dispositions relatives au temps partiel.” Selon l’avocate, ce mode d’organisation se pratique relativement facilement en Suisse car le temps partiel est couramment utilisé. “Cela a été mis en avant notamment pour les femmes ou les personnes avec une famille à charge pour leur permettre de maintenir des postes à un certain niveau tout en ayant un temps de travail adapté. Or, l’organisation du travail en France et les dispositions sur le temps partiel s’appliquent difficilement aux salariés cadres qui sont au forfait jours.”
Salariés interchangeables
En effet, un certain nombre de postes d’encadrement n’est pas soumis à des horaires fixes. Les encadrants travaillent selon un forfait : ils ont un nombre de jours de présence au cours desquels, a priori, les heures ne sont pas comptées, ce qui rend difficile le partage du temps entre deux salariés. Néanmoins, le forfait jours a donné lieu à une saga juridique car il remettait en question l’obligation de sécurité et de résultat due par l’employeur. “Le forfait jours ne signifie pas qu’on ne contrôle pas la durée du travail, précise Sarah Thomas, attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université Toulouse I Capitole, au sein de l’Institut de droit privé. Des entreprises ont été condamnées parce qu’elles n’exerçaient aucun contrôle. Mais les juges n’ont pas non plus précisé ce qu’ils attendaient des employeurs ! Certains ont du coup mis en place des systèmes déclaratifs où le salarié envoie régulièrement ses heures. Puis le salarié peut être convoqué pour échanger sur sa charge de travail, pour que le point de vue ne soit pas unilatéral.”
À ces conditions, le jobsharing devient alors envisageable mais il demande donc une attention multipliée par deux. Autre problématique liée à des questions de partage du temps, il serait possible d’un point de vue légal de décider de venir le lundi, mardi et mercredi matin, et de laisser le salarié binôme sur les autres temps de la semaine. “Seulement alors, la participation à des réunions, à des colloques ou à des projets dont le suivi n’est pas que sur trois jours devient compliquée, estime l’avocate Alice Mony Decroix. Si le cadre est obligé de venir le jeudi pendant deux heures pour une réunion, ce sera décompté comme une journée. Cela pourra créer des difficultés par rapport au suivi du nombre de jours travaillés dans l’année. Il est possible de faire en sorte que les deux salariés soient interchangeables, et que l’un puisse se rendre en poste à la place de l’autre. Mais ce serait comme si un avocat préparait un dossier et qu’un autre le plaidait !”
Flexibilité
Outre la question du forfait jours, le jobsharing est confronté à la rigidité de l’organisation du temps partiel, car il en est une sorte spécifique. Dans le code du Travail français, c’est une de ses spécificités selon l’avocate, l’employeur est très concrètement impliqué dans la gestion des horaires et ne peut pas permettre à un salarié de déterminer des horaires susceptibles de changer. “À l’origine, il s’agit d’une disposition légale pour protéger le salarié à mi-temps et lui permettre d’exercer une autre activité à côté. Or, ce n’est possible que si les horaires sont définis de manière précise et ne sont pas susceptibles de changer. Par exemple cela peut être 8 heures les lundis et mardis et 4 heures le mercredi. L’employeur ne peut pas s’en éloigner.”
Une fois l’organisation entre les deux salariés fixée, on peut donc imaginer que le jobsharing est tout à fait réalisable si les modifications d’horaires sont strictement encadrées. “Mais du coup, le partage de poste n’est plus du tout souple, ce qui était censé faire l’intérêt du jobsharing.”