Carrière

Accord sur le télétravail : “Non normatif, il n’appellera jamais à une loi” (CGT)

Face à la généralisation du télétravail, les partenaires sociaux tentent de l’encadrer. Après 3 semaines de négociations, ils sont parvenus à trouver un accord cadre. Mais la CGT refuse de signer ce projet d’ANI. Parce qu’il n’est pas contraignant, mais aussi parce qu’il éluderait plusieurs points importants. Fabrice Angéi, secrétaire confédéral du syndicat, nous en dit plus sur ce qui, selon lui et son organisation, manque dans ce texte pour un développement serein du travail à distance.

Pourquoi avez-vous opposé un avis négatif à la signature du projet d’accord sur le télétravail ?

Parce que ce futur accord n’est ni normatif, ni prescriptif. Il s’inscrit dans le processus d’inversion de la hiérarchie des normes du droit du travail, mis en place par les ordonnances Macron de 2017 : ainsi, le télétravail peut être mis en place par la voie d’accords (collectifs ou de gré à gré), mais aussi de chartes élaborées unilatéralement par l’employeur. Toutes les modalités existent donc, alors qu’un ANI donne, par principe, un cadre applicable à minima à l’ensemble des salariés, quel que soit le secteur professionnel. La mise en place du travail à distance est donc à la main de l’employeur, et ne fait pas l’objet d’une négociation obligatoire.

Non contraignant, cet accord ne constituera finalement qu’un guide de bonnes pratiques, facilement contournable. Alors qu’un ANI vise normalement a faire du droit conventionnel : il a pour but de fixer des règles pour l’ensemble des salariés, un socle commun de droits et d’obligations applicables dans toutes les entreprises.

Au-delà, le contenu de ce projet d’accord pose problème, et porte même des reculs.

 

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De quels reculs s’agit-il ?

Le premier recul, fondamental, concerne la responsabilité qu’a l’employeur vis-à-vis de la santé de ses salariés. Dans ce projet d’accord, les organisations signataires reconnaissent que “si les dispositions légales et conventionnelles relatives à la santé et à la sécurité au travail sont applicables aux salariés en télétravail”, il doit être “tenu compte du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail, et de l’environnement qui relève de la sphère privée”. Dans le cas d’un accident du travail à domicile, cela pourrait être très préjudiciable pour le salarié, car cet ANI pourrait être brandi devant un tribunal par l’entreprise pour se dédouaner de ses devoirs. Sachant que l’ANI de 2005 sur le télétravail prévoyait jusqu’ici la possibilité, avec accord du collaborateur, de faire venir un CHSCT sur place pour évaluer les conditions de travail ; et que ce point important a disparu dans ce nouveau texte.

Le deuxième recul concerne le droit à la déconnexion. Ce droit, inscrit dans la loi depuis 2017, est simplement formulé ; alors que ce qui pose problème actuellement, c’est son application. Aujourd’hui, selon le dernier baromètre de l’Ugict, 69 % des cadres réclament un droit effectif à la déconnexion, disant ne pas en disposer. À minima, ce projet d’ANI ne change rien. Et il porte même un recul quand on observe que l’accord européen sur le numérique et le travail, qui aborde le droit à la déconnexion et qui est normatif, est ici transposé dans un accord non normatif et non prescriptif. Qui ne fait que clarifier des points et donner des conseils.

Le troisième recul concerne la question de l’équipement individuel au domicile du salarié. L’ANI de 2005 prévoyait l’utilisation d’un matériel personnel comme une situation exceptionnelle. Ainsi, selon cet accord, c’est normalement l’employeur qui “fournit, installe et entretient les équipements nécessaires au télétravail”, ou qui, “lorsqu’exceptionnellement”, le télétravailleur utilise son propre équipement, “en assure l’adaptation et l’entretien.” Or, le projet d’ANI de 2020 rend cette utilisation du matériel personnel non-exceptionnelle, car il n’y a plus aucun distinguo.

En outre, notons que le patronat a refusé d’ajouter une phrase selon laquelle c’est l’entreprise qui doit fournir les équipements nécessaires. S’ajoute à cela un passage sur l’indemnisation potentielle des frais professionnels, qui n’est pas si clair que cela, tel que rédigé : il soumet cette prise en charge à une “validation de l’employeur” et élude la question des frais à domicile, qui ont trait à la connexion internet ou à la consommation électrique. Trop flou, ce texte laisse encore une fois la main à l’employeur.

 

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Selon vous, ce projet d’ANI tend plus globalement à déresponsabiliser l’employeur…

Dans plusieurs articles, ce texte transfère ses responsabilités sur l’exercice du télétravail aux cadres et aux managers de proximité.

Certes, il est important que ces derniers soient bienveillants et à l’écoute des collaborateurs. Mais ce projet d’accord leur fait porter une grande responsabilité, sans imposer aux dirigeants la mise en place de mesures de suivi et de prévention des risques psychosociaux.

 

Quelles sont les propositions de la CGT, finalement ?

Nous voudrions créer du droit effectif, et pas seulement rappeler la législation déjà en vigueur. Un tel accord devrait normalement fixer certains objectifs de progrès, des garanties pour les salariés, et des droits nouveaux.

Concernant le droit à la déconnexion, le texte devrait par exemple être clair sur le fait que l’entreprise doit prendre des moyens pour l’assurer, en mesurant notamment le temps de travail, et en faisant intervenir la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) du CSE. Autre exemple : le projet d’ANI précise les conditions de réversibilité du télétravail régulier. Si l’employeur et le salarié conviennent de cesser le télétravail, le salarié retrouve dans les locaux de l’entreprise “l’emploi tel qu’il résulte de son contrat de travail”. Mais s’il y a un certain progrès, le texte n’indique pas que cette réversibilité devrait faire l’objet d’un avenant écrit au contrat de travail.

Objectivement, il y a un réel fossé entre l’accord actuel et les propositions (rejetées par le patronat) des organisations syndicales au départ. Il s’appliquera même si la CGT ne le signe pas. Mais il ne fera jamais que rappeler de grands principes. Non normatif, il n’appellera jamais à une loi. Ce qu’il nous restera à faire pour faire bouger les choses, c’est prendre cet ANI (qui n’en est pas un) à contrepied, en gagnant les négociations dans les entreprises. Le seul moyen d’obtenir et de multiplier des accords de haut niveau, à même de peser sur la législation.

 

 

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