Travailler à la mesure de son salaire, ni plus ni moins : c’est la nouvelle tendance relayée sur le réseau social TikTok par de jeunes actifs qui souhaitent une rémunération à la hauteur de leur implication professionnelle, et vice-versa. Au-delà de l’effet de mode, ce phénomène soulève des questions de fond en lien avec la motivation, la cohabitation entre les générations, l’équilibre vie professionnelle-personnelle et même… la parité salariale entre hommes et femmes. Analyses du spécialiste du recrutement Dan Guez, cofondateur du groupe Opensourcing.
Une nouvelle tendance autour du monde du travail a fait son apparition sur le réseau social TikTok, avec le hashtag « Act Your Wage », qui pourrait se traduire par « Agis à la mesure de ton salaire », ni plus ni moins. Une expression qui fait penser à un adage anglo-saxon bien connu : « If you give peanuts, you get monkeys ». Autrement dit, « si vous ne donnez que des cacahuètes, vous n’obtiendrez que des singes ». Rien de nouveau sous le soleil, donc ? « J’ai d’abord éprouvé une impression de déjà vu, un phénomène en remplaçant un autre chaque trimestre, estime Dan Guez, cofondateur du groupe Opensourcing, qui accompagne les entreprises dans leurs recrutements. C’est viral, ça fait le buzz… Et ce qui m’inquiète, c’est le rapport au travail des jeunes, le côté comptes d’apothicaires, le détachement, la critique négative envers l’employeur, le manque d’ambition et d’investissement. »
Garder un équilibre vie pro-vie perso
Mais en se penchant sur cette question, ce spécialiste du recrutement y a pourtant vu des aspects positifs : « Comparé aux deux grandes tendances observées récemment – quiet quitting, ou démission silencieuse, consistant à lever le pied au lieu de démissionner, et big quit, ou grande démission – #ActYourWage a le mérite d’être davantage tourné vers l’action : il y a une volonté de faire plus à condition de gagner plus. Ou alors de se fixer des limites car lorsque l’on débute, on manque de repères. C’est bien de vouloir garder un équilibre entre vies personnelle et professionnelle, même s’il ne faut pas basculer dans l’excès inverse. Le rapport à l’entreprise doit être gagnant-gagnant. »
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Dan Guez regrette tout de même que cela engendre parfois des conflits entre générations. Certains utilisateurs du hashtag l’associent à une dénonciation des seniors comme étant bien mieux payés sans en faire beaucoup plus que les profils juniors : « C’est une attitude stérile. Au lieu d’opposer les membres d’une équipe, mieux vaut faire en sorte de travailler main dans la main. La transmission et la cohabitation entre collaborateurs expérimentés et débutants est essentielle : chacun a une contribution différente, un monde ne chasse pas l’autre. »
Il défend une vision qualitative du monde du travail, plutôt qu’une approche quantitative et prosaïque, trop réductrice : « Une entreprise n’a-t-elle qu’un salaire à proposer ? Non, car un poste ne se limite pas à une rémunération. D’autant que toutes les sociétés ne sont pas à égalité en la matière : certaines accordent des émoluments délirants, déconnectés du marché pour attirer les candidats. Est-ce que, en conséquence, les collaborateurs surpayés doivent être surchargés de tâches pour faire encore plus que la fiche de poste ? Attention à ne pas devenir esclave de son salaire ! »
Une bonne rémunération, mais pas que…
Tout travail mérite (juste) salaire… et apporte beaucoup plus, souligne Dan Guez : « Cela permet de grandir, de construire sa carrière, d’évoluer, d’obtenir reconnaissance et satisfaction, de donner du sens à sa mission. On ne travaille pas que pour soi et son salaire, mais aussi pour un collectif, un projet, des valeurs partagées. »
De plus, ce spécialiste du recrutement note que les deux premières interrogations soulevées par les candidats à l’embauche concernent la possibilité de télétravailler et le package global, avec tous ses avantages non monétaires autour de la qualité de vie au travail, de la formation, de la parentalité et d’autres services mis à disposition des collaborateurs.
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Par ailleurs, si Dan Guez ne prône pas la transparence des salaires, d’autres y voient un intérêt, comme le relate un article du quotidien de Sydney The Australian. La culture du secret touchant les rémunérations pourrait prendre fin avec la nouvelle loi nationale sur le travail équitable, intitulée Secure Jobs, Better Pay Bill 2022, rendant illégale l’inclusion de clauses de confidentialité sur la paie dans les contrats de travail. Cette levée de voile pourrait permettre de lutter contre les écarts salariaux entre les sexes.
Un pas de plus vers l’égalité des salaires entre hommes et femmes ?
Ainsi, en France, l’Apec rappelle que « depuis plus de dix ans, un écart de rémunération d’environ 15 % est observé entre hommes et femmes cadres, malgré les dispositifs mis en place pour y remédier. » Selon son dernier baromètre, « fin 2021, la rémunération annuelle brute des hommes cadres se situe à 54 000 euros contre 47 000 euros pour les femmes cadres (…) Une part importante des écarts de rémunération demeure « inexpliquée ». À profil et poste équivalents, les hommes cadres gagnent en effet 7,4 % de plus que leurs homologues féminins. »
À travers ce prisme, le hashtag « Act Your Wage » pourrait rejoindre le mouvement initié par la newsletter féministe Les Glorieuses qui, tous les ans, indique le moment où les femmes commencent à travailler gratuitement puisqu’elles sont moins bien payées que les hommes : la date est située entre le 3 et le 7 novembre, selon les années. En 2022, il s’agissait ainsi de relayer #4Novembre9h10. Dès lors, plutôt que de chasser un hashtag par un autre, pourquoi ne pas les additionner pour en décupler la force ?
Pour compléter la lecture de cet article, retrouvez le dossier « Salaires : ce que veulent les cadres » paru dans le numéro de novembre-décembre 2022 du magazine Courrier Cadres.