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Affaire Slip Français : en ligne, où s’arrête la liberté d’expression ?

Alors que deux salariés du Slip Français ont été mis à pied le 4 janvier par leur entreprise après avoir publié sur Instagram une vidéo au cœur d’un bad buzz, des actes relevant de la vie privée peuvent-ils légitimer des sanctions disciplinaires au sein de l’entreprise ou un licenciement ? L’éclairage de Timothé Lefebvre, avocat au Barreau de Paris.

 

Des salariés peuvent-ils être tenus responsables par leur entreprise de ce qu’ils font dans un cadre privé ?

La réponse est : oui. Les agissements d’un salarié, même en privé, peuvent influer sur sa vie professionnelle. Depuis un jugement de 1991, il existe un principe : l’étanchéité complète entre vie privée et vie professionnelle. Mais depuis que les réseaux sociaux comme Twitter, Facebook et Instagram sont dans la partie, la donne a changé.

La cour de cassation a par exemple jugé un cas où des salariés, qui se pensaient libres sur Internet, insultaient leur supérieur hiérarchique en privé et en public. Le juge avait alors considéré que la libre expression de chacun est un droit constitutionnel, mais que l’on reste toujours responsable de ses propos, dès lors qu’ils sont injurieux ou offensants.

 

Les salariés mis en cause dans le cas du Slip Français risquent-ils d’être licenciés ?

Leurs agissements ont apparemment eu lieu dans le cadre d’une soirée privée, hors de leurs temps et lieu de travail… Or, le droit du travail garantit aux salariés le respect de leur vie privée. Un employeur ne peut pas se prévaloir d’un fait de la vie privée d’un salarié pour le sanctionner (pas d’avertissement, de mise à pied, ni de licenciement pour faute).

Mais il est clair que les faits reprochés aux salariés ont eu des répercussions sur la marque. La question n’est pas de savoir si leurs propos étaient racistes, et s’ils peuvent être poursuivis au pénal. Il n’est pas non plus possible de sanctionner un salarié en raison d’un “bad buzz” pour la marque. Les sanctions de l’employeur ne peuvent viser que les conséquences des faits sur le fonctionnement de l’entreprise ; par exemple, si cela crée des conflits en interne.

Même sans bad buzz, même si la vidéo n’avait été diffusée qu’à l’intérieur de leur société, les salariés auraient pu être sanctionnés en raison du “trouble caractérisé au sein de l’entreprise”. On ne leur reproche pas une faute, mais on tire les conséquences d’un état de difficulté dans l’entreprise. Un licenciement sur ce fondement pourrait tout à fait être prononcé, si l’organisation parvenait à démontrer le trouble causé à ses équipes. Notons que le Slip Français parle maladroitement dans son communiqué de sanctions à propos d’une mise à pied conservatoire ; or, il ne s’agit que d’une mesure administrative, et non d’une sanction.
 

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À partir du moment où la vidéo incriminée a été publiée de façon “publique”, peut-on encore considérer qu’elle fait partie de la sphère “privée” ?

La cour de cassation répond que le caractère privé d’une publication dépend de l’audience qu’elle reçoit : celle-ci est définie en fonction du nombre de personnes auprès de qui elle est partagée. Si vous publiez au delà d’un certain nombre de personnes, le caractère confidentiel de la publication n’est pas évident, cela dépend de l’appréciation du juge.

Les comptes Instagram des employés du Slip Français sont ouverts au public, et l’entreprise dont ils font partie est clairement identifiable. Ce qui pourrait signifier que leur publication ne relève plus de la vie privée. Les salariés répondront qu’ils n’avaient qu’une centaine d’abonnés et ne pensaient pas que leur vidéo serait partagée auprès de milliers d’autres internautes. Mais la partie adverse pourrait à nouveau rétorquer que s’il y a eu un bad buzz, c’est parce qu’à l’origine, leur publication était publique.

 

La morale ne serait-elle pas que la liberté d’expression a des limites, dès lors qu’elle se déroule en ligne ?

Tout ce que vous publiez sur Internet peut se retourner contre vous. Chacun devrait faire attention à sa communication publique sur les réseaux sociaux, même sous pseudonyme, car l’anonymat en ligne n’existe pas. Et Internet garde tout en mémoire. La prudence est donc de mise, même si elle altère la liberté totale que l’on pense avoir en ligne.

Cette problématique est d’autant plus grande chez les jeunes, qui n’ont pas tous conscience des limites de leur expression sur internet. Sur les réseaux sociaux, celle-ci s’arrête concrètement quand des écrits ont un caractère injurieux ou diffamatoire. Nous sommes donc libres d’écrire ce que nous voulons, mais nous avons aussi le devoir d’assumer ce que nous écrivons.

 
 

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