Entreprise

Air France : “Il faudra bien plus de deux mois pour que la justice pénale fasse son œuvre”

Quatre salariés d’Air France ont fait l’objet de licenciements pour faute lourde. Est-ce justifié ? Éléments de réponse par Patrick Thiébart, avocat au cabinet Jeantet Assoicés AARPI.

 

À la suite des altercations, début octobre, en marge du comité central d’entreprise d’Air France, les premières sanctions disciplinaires sont tombées. Parmi celles-ci, quatre salariés ont fait l’objet de licenciements pour faute lourde. Ces licenciements de cette nature sont-ils fondés ? La question mérite d’être posée car la Cour de Cassation fait une interprétation particulièrement restrictive de la faute lourde. Elle la caractérise par l’intention de nuire à l’égard de l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif. Or, la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise, aussi grave soit-il, ne suffit pas à caractériser la volonté de nuire du salarié. Ainsi, il a été jugé qu’il n’y a pas de faute lourde de la part d’un ancien directeur de restaurant ayant détourné plus de 20 000 euros, quand bien même la réalité des faits était attestée par l’expert-comptable de l’entreprise, copie du grand livre des comptes à l’appui.
Dans le cas des licenciements qui viennent d’intervenir chez Air France, les dirigeants ont été molestés. S’il est avéré que les salariés, objets des lettres de licenciement, ont participé activement à ces violences et ont, de surcroit, commis des actes de dégradation, ce que les prud’homaux devront déterminer, on peut alors considérer que les licenciements pour faute lourde sont fondés. De tels faits caractérisent l’intention de nuire à l’égard de l’employeur.

 

Deux mois pour agir

Plusieurs des salariés licenciés font l’objet d’une procédure pénale après qu’Air France ait porté plainte pour violences aggravées. Cette procédure pénale ne se confond pourtant pas avec les procédures qui ont abouti aux licenciements pour faute lourde de ces mêmes salariés et rien n’obligeait, sur le plan du droit, l’employeur à suspendre les procédures disciplinaires dans l’attente de la décision des juges répressifs. Cela aurait été d’autant moins compréhensible que l’employeur qui envisage des sanctions disciplinaires a l’obligation d’agir dans le délai de deux mois à partir du moment où il a eu connaissance des faits. On se doute bien qu’il faudra plus de deux mois pour que la justice pénale fasse son œuvre. Air France ne pouvait pas, dans l’intervalle, se borner à suspendre les contrats de travail des salariés, après que ceux-ci eurent été mis à pied. Il y aurait eu là un comportement pour le moins abusif de la part de la compagnie aérienne. On ne peut donc pas parler d’atteinte portée à la présomption d’innocence, sauf à vouloir remettre en cause le pouvoir de sanction qui est la prérogative même de l’employeur, aux termes mêmes du code du Travail.

 

Risque de contrariété

Si les salariés contestent leurs licenciements en justice, alors que dans le même temps, ils font l’objet de procédures pénales, il est probable que les salariés licenciés, ou au moins certains d’entre eux, décident de contester la rupture de leurs contrats de travail devant le conseil de prud’hommes. Dans un tel cas, il sera possible pour Air France de demander aux juges prud’homaux de différer le choix de statuer dans l’attente de la décision de la justice pénale. Les juges prud’homaux ne sont cependant pas obligés de faire droit à cette demande car l’article 4 du code de procédure pénale n’impose pas la suspension de la procédure prud’homale. La décision de suspendre cette procédure relève donc du pouvoir discrétionnaire du conseil de prud’hommes. En pratique, toutefois, les juges prud’homaux sont enclins à prononcer le sursis à statuer toutes les fois qu’il existe un risque de contrariété entre leur décision et celle de la juridiction pénale. Il en ira souvent ainsi lorsque les faits qui fondent la plainte pénale et ceux qui justifient les licenciements pour faute sont, en tout ou partie, les mêmes.

 

Patrick -web

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