Quels constats faites-vous aujourd’hui sur l’inclusion dans la tech ?
Lorsque nous avons lancé l’association Diversidays en 2016 avec Mounira Hamdi, nous avions ce rêve de rendre la tech plus accessible et inclusive et de diversifier le secteur. Beaucoup de personnes n’y croyaient pas, mais je me rends compte que les choses évoluent dans le bon sens. À l’image du programme French Tech tremplin, qui promeut l’égalité des chances et accompagne les entrepreneurs issus de milieux défavorisés. La tech est aujourd’hui un secteur qui attire de plus en plus, et notamment les jeunes entrepreneurs. Le secteur du numérique est un vaste terrain de jeu pour les projets à impact et innovants, avec tout un écosystème d’incubateurs et de programmes d’accompagnements. Et nous pouvons faire le même constat s’agissant des opportunités d’emploi et de reconversion.
Nous allons prochainement atteindre les 11 000 personnes accompagnées par Diversidays, dont beaucoup d’aides à la reconversion et à la découverte des métiers. Nous avons notamment beaucoup investi dans notre programme DéClics Numériques, qui propose de découvrir en 40 heures les métiers du numérique et de participer à des ateliers pratiques pour entamer au mieux sa reconversion.
Où en sommes-nous en matière de sensibilisation des employeurs et du grand public vis-à-vis des enjeux de l’inclusion ?
Je dirais qu’on a davantage conscience de ces enjeux, du fait qu’il y a énormément de talents à aller chercher partout, et que les entreprises ont tout intérêt à s’ouvrir à ces profils. Les grands groupes ont été challengés ces dernières années, mais il reste un travail énorme à faire auprès des entreprises de la tech, et notamment les jeunes entreprises. C’est dans cette optique que nous avons pensé le programme Tech Your Place, avec la fondation Mozaïk, pour aider les structures de la tech à mettre en place des politiques diversité et inclusion. Il faut commencer par sensibiliser les dirigeants et les recruteurs pour aboutir à du recrutement inclusif. En matière d’inclusion et face aux difficultés sociales en France, on aimerait que chaque entreprise s’empare de ces enjeux. Globalement, on avance petit à petit, avec par exemple l’écosystème French Tech, qui vient de fêter ses 10 ans et qui essaye d’influencer tout le secteur dans le bon sens. Reste qu’il existe encore une nuance entre ce que l’Etat ou les programmes publics demandent ou promeuvent, et ce que les entreprises font activement.
Cet enjeu de l’inclusion nécessite-t-il de revoir les processus d’intégration dans les entreprises ?
Beaucoup de personnes sont invitées à se reconvertir et à se lancer sans avoir nécessairement de diplôme, de qualifications ou d’expérience dans le domaine. Il faut donc faire en sorte qu’elles ne se retrouvent pas face à un mur, et cela implique d’adapter les parcours, de favoriser l’accompagnement, d’aménager certains postes, et de sortir du réflexe du CV traditionnel. Par exemple : avoir des sites Internet accessibles pour les personnes atteintes de troubles dys, des bureaux adaptés pour une personne malvoyante… Aussi, sur la partie recrutement, nous constatons qu’en termes de pratiques inclusives, énormément de recruteurs n’ont jamais été formés aux pratiques non discriminatoires. Plus on aura de professionnels des RH et du recrutement formés aux enjeux de l’inclusion et à la lutte contre la discrimination à l’embauche, plus on aura des recrutements inclusifs et de la diversité. À mon sens, il faudra peut-être finir par l’imposer.
Quelles doivent être les priorités en matière d’inclusion ?
Pour les entreprises souhaitant s’impliquer, il existe des outils de mesure. Je pense notamment à Mixity, une solution qui permet de mesurer tous les indicateurs d’inclusion dans l’entreprise, ainsi que les principales sources de discrimination (égalité femmes-hommes, handicap, origines culturelles et sociales, âge et orientation sexuelle, identité de genre…). Le but ? Evaluer la performance de l’entreprise sur ces sujets, et identifier les points d’amélioration. Mais seule une minorité d’entreprise rationalise de la sorte. Pourtant, il s’agit bien d’entrer dans une logique d’équilibre, pour rendre l’entreprise plus diversifiée et, de fait, plus performante. Parce que tous les indicateurs montrent qu’une entreprise diverse et inclusive est plus performante. Il y a tout à gagner. Il faut rappeler que la loi française distingue 25 critères de discrimination. Il faut également veiller au bien-être au travail vis-à-vis des sensibilités de chacune et chacun. Nous sommes tous sensibles d’être heurtés par une remarque déplacée qui nous concerne de près ou de loin, et cela rejoint les enjeux du maintien dans l’emploi.
Les politiques d’inclusion deviennent donc des éléments forts de la marque employeur ?
Tout cela devient source d’attractivité et de rétention. C’est très important pour les entreprises, qui pour certaines seront peut-être disqualifiées et moins sollicitées par les candidats si elles ne s’emparent pas de ces enjeux. Nous sommes peut-être au début de cette vague, et cela pourrait passer par encore un peu plus de réglementation et de contraintes. Il y a une dimension incitative, avec la politique de quotas et l’obligation d’emploi des personnes en situation de handicap, mais je pense qu’il faut aller plus loin pour inciter au recrutement inclusif. Donc je pense que les entreprises vont être de plus en plus challengés et mises à contribution. Et prochainement, certaines entreprises pourraient même être dénoncées publiquement pour leur manque d’engagements inclusifs, tout comme sur les dimensions responsables et écologiques. On parle aujourd’hui notamment de 15 000 profils manquants dans la cybersécurité. Or, sans politique inclusive, on se prive de tout un vivier de talents et de candidats potentiels.