Les négociations entre partenaires sociaux sur les nouvelles règles de l’assurance chômage ont échoué. C’est le gouvernement qui tranchera, notamment sur la question sensible de la dégressivité des allocations pour les cadres.
Le 26 février, Édouard Philippe a présenté la « méthode et le calendrier » de sa réforme : après de « larges consultations » qui se dérouleront durant plusieurs semaines avec le patronat, les syndicats, des élus et des associations, l’État fera évoluer les règles d’indemnisation au printemps, pour une mise en œuvre par décret, dès l’été 2019.
Pour sa réforme, dont le but est de faire économiser à l’Unédic entre 1 et 1,3 milliard d’euros par an, le gouvernement s’en tient à sa lettre de cadrage envoyée aux partenaires sociaux durant leurs négociations. Il continue ainsi à soutenir l’idée d’un bonus-malus sur les contrats courts, et confirme sa volonté de durcir les règles d’indemnisation, en particulier pour les plus hauts salaires – avec l’idée de revoir le plafond d’indemnisation des cadres, ou d’instaurer une dégressivité de leurs allocations.
“La dégressivité des allocations chômage serait inefficace et injuste”
Actuellement, le plafond de l’indemnité chômage est de 7 750 euros bruts. Selon le gouvernement, si très peu de demandeurs d’emploi touchent cette somme, ceux qui la perçoivent restent plus longtemps au chômage que les autres, « même quand ils travaillent dans des secteurs en tension ou dans des bassins d’emploi qui recrutent ». Édouard Philippe vise en particulier les 60 000 demandeurs d’emploi qui selon lui touchent plus de 3 000 euros bruts par mois : car tandis qu’un chômeur touchant une allocation de 2 000 à 3 000 euros bruts reste 419 jours au chômage, celui qui perçoit plus de 5 000 euros bruts y reste 575 jours en moyenne.
« Nous devons revoir notre système qui permet d’obtenir des niveaux d’indemnisation pour les salaires élevés qui sont trois fois supérieurs à ce qui se passe chez nos voisins. Les règles d’assurance chômage indemnisent en même temps à un niveau dépassant de très loin ce qui existe partout en Europe, alors même que le marché du travail des cadres est au plein-emploi (avec un taux de chômage de moins de 4 %, contre 9 % pour l’ensemble de la population, ndlr) », affirme le Premier ministre. Selon l’Unédic, fixer un plafond d’indemnisation chômage à 3 fois celui de la Sécurité sociale (soit 5 775 euros par mois) permettrait de réaliser 137 millions d’euros d’économies chaque année.
Outre ce plafonnement des allocations versées, le gouvernement garde comme seconde option leur dégressivité, pour les « salaires très élevés » et/ou les « personnes avec une forte employabilité ». Dans sa lettre de cadrage, le ministère du Travail indiquait en septembre dernier que « les mêmes règles d’indemnisation ne produisent pas les mêmes incitations pour tous les demandeurs d’emploi », car elles “ne tiennent pas compte des différences de capacité à retrouver un emploi”. Le Medef va plus loin, en prônant une dégressivité pour tous les salariés, comme c’était le cas entre 1986 et 2001, et telle qu’appliquée en Espagne, en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et en Suède.
Mais un tel mécanisme aurait-il véritablement un impact sur l’emploi ? « Sur les finances publiques, le financement de l’assurance chômage, c’est certain : cela pourrait réduire, à court terme, les dépenses d’assurance chômage. Mais pour le reste, ce serait inefficace, voire injuste. Les droits dégressifs peuvent être intéressants si vous n’avez aucun contrôle des chômeurs. Mais dès lors qu’il y en a, la dégressivité n’a aucun intérêt », nous expliquait Éric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), en octobre dernier.
« Cette mesure ne fait aucun sens sur le plan économique »
« La dégressivité est une proposition inappropriée, qui n’est faite que pour flatter des résonances un peu populistes dans le débat sur le pouvoir d’achat, avec la stigmatisation des cadres, qui seraient soi-disant des privilégiés. Cette mesure ne fait aucun sens sur le plan économique, car pour l’instant, il n’a pas été démontré que la dégressivité pouvait avoir un impact positif, et car il y a déjà l’idée, dans le projet de réforme de l’indemnisation chômage, de renforcer les contrôles et les sanctions. Or, c’est ainsi, par des contrôles exigeants et des sanctions claires et nettes, qu’on arrivera réellement à changer les choses, en évitant des comportements de recherche d’emploi un peu trop passifs », constate de son côté Gilbert Cette, professeur d’économie à l’Université d’Aix-Marseille.
Face à une dégressivité qui ne concernerait que les cadres, les deux économistes sont tout aussi sceptiques – et réfutent l’argument selon lequel les cadres resteraient longtemps au chômage. « Le problème, c’est qu’aujourd’hui, les cadres ont plutôt un compte excédentaire : ils cotisent beaucoup plus qu’ils ne coûtent en indemnisations chômage. Et c’est ce qui permet d’ailleurs au système d’assurance chômage d’être assez vite équilibré. Car globalement, on demande aux cadres, qui sont en fait très rarement au chômage et qui cotisent énormément, de financer les non cadres », remarque Eric Heyer. « De ce point de vue là, il me semble un peu risqué de dire aux cadres que ce sont eux qui exagèrent dans le système, et qu’on va continuer à les taxer énormément, mais en leur donnant moins de droits. Si on les montrait du doigt, je pense que ce serait injuste et qu’ils pourraient être amenés à renoncer à cotiser pour les non-cadres », ajoute-t-il.
« Les cadres ont une présence très redistributive en faveur des personnes les moins qualifiées, et pratiquer une dégressivité renforcerait une redistribution déjà très forte… L’indemnisation globale sur les prestations élevées n’est pas énorme, compte tenu du fait qu’ils sont moins souvent et moins longtemps au chômage ; c’est donc une mesure qui présente un intérêt économique faible, et une efficacité sur la recherche d’emploi qui n’est pas avérée », confirme Gilbert Cette.