Management

« Aujourd’hui dans les entreprises il y a davantage de hiérarchie que de management »

Le cabinet de conseil en RH Arthur Hunt a organisé, fin mars, une conférence intitulée « De l’autorité à la légitimité : la hiérarchie a-t-elle du sens ? ». À cette occasion, Benoît Serre, DRH de L’Oréal France et vice-président délégué de l’association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), a partagé cinq clés pour trouver le bon équilibre dans les organisations.

Le 28 mars, Arthur Hunt Executive Search, spécialisé dans le conseil en ressources humaines, a organisé une conférence à Paris posant la question « De l’autorité à la légitimité : la hiérarchie a-t-elle du sens ? ». Elle visait à mettre en perspective une partie du sondage commandé à l’Ifop par le cabinet RH, intitulé « Le regard des cadres sur leur direction » et publié mi-novembre 2022. En effet, cette enquête, effectuée auprès de 200 dirigeants d’entreprise et 300 encadrants, met en lumière un paradoxe. Si 84 % du panel a une image assez bonne ou très bonne de la direction de l’entreprise, 58 % des personnes interrogées assurent avoir envie de démissionner à court ou moyen terme. Et, dans les cinq prochaines années, 40 % affirment envisager de créer une entreprise, tandis que 39 % pensent à se mettre à leur compte ou à devenir freelance.

Pour Benoît Serre, DRH de L’Oréal France, qui était invité par Arthur Hunt pour interpréter ces résultats, s’il y a une telle aspiration à l’indépendance, c’est pour « avoir la paix et la liberté, être responsable de soi-même, sortir d’un schéma où l’on impose un modèle de temps de travail et de reporting pour mettre en place sa propre organisation. » Et le vice-président délégué de l’association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) d’ajouter : « Le phénomène de freelancing se développe parce que les gens veulent devenir prestataires plutôt que salariés pour ne pas être dépendants de la hiérarchie. La première cause de démission, c’est la relation directe et de confiance entretenue avec le manager. Puis sont invoqués le fait que le travail n’intéresse pas ou plus et enfin une rémunération jugée insuffisante. » Pour répondre à ce désir d’autonomie grandissant, les entreprises doivent donc évoluer et Benoît Serre propose plusieurs pistes de réflexion et d’action.

1. Ecraser les niveaux hiérarchiques

Benoît Serre observe que, dans les start-up, l’organisation est souvent plate, pour être plus agile et innovant, capable de réagir vite sans être écrasé par la hiérarchie. « Or aujourd’hui, dans les entreprises en général il y a davantage de hiérarchie que de management. C’est le contraire qu’il nous faut, surtout dans la phase d’instabilité économique et technologique que l’on connaît. » Celui qui fut DRH de Leroy Merlin en Russie pendant six ans loue la structure de cette enseigne à travers le monde : « L’idée est de ne pas créer trop d’étages hiérarchiques et donc de bureaucratie. Ainsi, les responsables de rayon ne sont pas les supérieurs des vendeurs. Malheureusement, il existe une tendance globale à créer des couches hiérarchiques pour concrétiser la réussite sociale : en France, on est très sensible au titre, donc il faut faire comprendre que le supprimer ne fait pas perdre en légitimité, en responsabilité ni en rémunération. » Il précise qu’écraser les pyramides hiérarchiques permet d’éviter que les managers évoluent deux fois plus vite que les experts : « Ces derniers sont fatigués de voir les managers changer de poste tous les deux ans, car il faut tout réexpliquer aux nouveaux venus. En effet, plus il y a de hiérarchie, plus il faut faire bouger les gens régulièrement ! »

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2. Développer le mode projet

Benoît Serre a aussi analysé pourquoi peu de personnes souhaitent évoluer vers des fonctions managériales : « La vision des salariés de leur manager de proximité, c’est qu’il est entre le marteau et l’enclume, soumis à de nombreuses contraintes, et que cette mission prend trop de temps, avec des horaires à rallonge. » En revanche, ce qui prévaut chez les collaborateurs, c’est l’aspiration à plus de collaboration et de coopération. « Pendant leurs études, ils apprennent à travailler dans une logique de projet, avec des modes d’organisation transversaux, ce qu’ils ne retrouvent pas forcément en entreprise. Le système n’entend pas les jeunes ou alors seulement les premiers et deuxièmes niveaux de management. »

Le DRH prend l’exemple des boucles de conversation WhatsApp qui se développent fortement dans les entreprises, parfois entre groupes générationnels : « C’est un outil de transformation des organisations très intéressant et efficace. Les managers à l’ancienne ont l’impression qu’on conteste ainsi leur autorité mais en réalité, c’est de la coopération, pas du complot ! »

3. Limiter le reporting

Cette pratique si répandue est très critiquée par Benoît Serre : « C’est une obsession : chacun veut vérifier ce qui se passe à l’échelon en dessous au cas où le niveau supérieur souhaiterait le savoir aussi. Cela perd de son sens, on ne sait plus à quoi ça sert, on le fait par précaution. On appelle cela le cascading et la métaphore est parlante : avez-vous déjà observé le bouillonnement chaotique créé tout en bas d’une cascade ? » Comptes rendus, tableaux à produire… autant de process qui ne sont pas vraiment exploités par la suite, note-t-il : « On met en place des people reviews, des entretiens annuels d’évaluation mais que fait-on de tout ce matériel pourtant très intéressant ? Souvent pas grand chose et, en plus, on recommence chaque année ! Cela délégitimise le manager si rien ne se produit dans les faits, s’il fait du reporting mais n’a pas de leviers d’action. Et pourtant, les collaborateurs comprennent la nécessité d’avoir des n+1 et n+2. »

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4. Appliquer la subsidiarité

Plus il y a de hiérarchie, moins il y a de management, insiste à plusieurs reprises Benoît Serre : « La subsidiarité, c’est le meilleur moyen de passer d’une logique de hiérarchie à une logique de management, en renforçant le sentiment d’autonomie. Et, pour cela, il convient de responsabiliser chaque étage sans intervenir. Le modèle de subsidiarité implique donc de faire confiance. » Selon le DRH, c’est plus efficace que la structure matricielle : « Les plus lucides appellent cette organisation transversale le foutoir ! Car elle génère tout autant de hiérarchie, avec de nombreux sous-chefs, et surtout elle ralentit les décisions quand le modèle est poussé à l’extrême. »

5. Renforcer l’autorité par la légitimité

Actuellement, la question de la légitimité managériale repose sur la hiérarchie, souligne Benoît Serre : « Or les salariés ne veulent pas être de simples outils au service d’une vision, ils cherchent à être écoutés et reconnus. Le plus difficile, c’est être capable de montrer en quoi leur travail a une valeur en amont et en aval, ce qui apporte du sens à leur mission. » D’où l’importance que les collaborateurs donnent aux 3H, dans l’ordre suivant, détaille Benoît Serre : « D’abord Heart, le cœur, c’est-à-dire le comportement du manager. Ensuite Hands, les mains, c’est-à-dire qu’il sait ce que fait son équipe. Et, en dernière position, Head, la tête, la vision. » Tout cela confère de la légitimité aux supérieurs hiérarchiques. « Avant de venir de l’organisation, la légitimité est d’abord issue de l’individu, de ses qualités interpersonnelles et de son expertise. Et être légitime s’avère fondamental car cela permet de justifier l’autorité. La meilleure nomination est celle qui ne surprend personne en interne car tenant compte de l’avis de l’équipe. »

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