Dans un contexte professionnel où le stress est omniprésent, Sandrine Lévy Amon, Senior Manager QVT, psychologue clinicienne et Coach certifiée au cabinet Stimulus, nous livre son analyse et ses conseils pour aider les managers et leurs équipes à mieux le gérer.
Pourquoi la question du stress est un enjeu important pour les entreprises et les managers aujourd’hui ?
Sandrine Lévy Amon. L’enjeu est extrêmement important. Selon l’Observatoire de la santé psychologique au travail de Stimulus et l’OMS, environ 1 employé sur 4 (25 %) souffre d’hyperstress, c’est-à-dire d’un stress chronique qui affecte la santé physique et mentale et, par conséquent, la productivité. Ces données sont alarmantes et les managers doivent en être conscients quand ils se trouvent dans leurs équipes. Ils doivent aussi garder à l’esprit que 50 à 60 % des arrêts de travail sont liés au stress, selon l’assurance maladie, tandis que les causes du burn-out sont, à 60-70 %, liées au travail.
Quelles sont les principales sources de stress au travail ?
SLA. La charge de travail, la pression temporelle, l’intensité et la complexité des tâches. Dans les grandes entreprises, on observe souvent une responsabilisation accrue à tous les niveaux, ce qui crée une pression et une charge émotionnelle importantes. Cette complexité du travail s’accompagne d’une responsabilisation croissante des opérationnels ; des employés qui, eux, n’ont pas réellement de pouvoir d’action ou de décision.
Et les managers ne sont pas épargnés…
SLA. Aujourd’hui, les managers les plus vulnérables sont les managers de proximité. Ce sont ceux qui sont en contact étroit avec le terrain, qui cherchent à protéger leurs équipes et qui absorbent souvent l’excédent de charge ou d’intensité de travail, tout en subissant de fortes pressions de la direction. Les signaux de détresse psychologique sont beaucoup plus marqués chez les managers, en particulier depuis la crise de la Covid-19, touchant 52 % d’entre eux d’après une enquête réalisée en 2021.
La crise du Covid-19 a clairement créé un avant et un après ?
SLA. Oui, pendant cette période, les managers sont devenus la passerelle entre les opérationnels et la direction, transmettant les ordres et contre-ordres tout en supportant les pressions. L’importance de la ligne managériale a été mise en lumière, et les attentes envers les managers se sont accrues en termes d’accompagnement humain, de gestion de la charge de travail et de performance des équipes. Les entreprises sont désormais très préoccupées par l’accompagnement des managers pour améliorer la gestion de leurs équipes et optimiser le travail. Les chefs d’équipe ont donc la double responsabilité de piloter efficacement le travail et de veiller à la santé de leurs collaborateurs.
Comment un manager peut-il identifier les signes de stress chez lui comme chez ses collaborateurs ?
SLA : Il est essentiel de reconnaître les signaux de stress au niveau physique, comportemental, cognitif et émotionnel. Sur le plan physique, la fatigue est d’abord un signal majeur à ne pas négliger. Les signaux cognitifs sont très visibles : ils affectent tout de suite la performance, et se manifestent par un ralentissement du cerveau, des difficultés à se concentrer, des oublis et des erreurs. Ils sont visibles aussi bien chez les collaborateurs que chez les managers soumis à une charge mentale élevée. Cette charge cognitive est également perturbée par les émotions, la peur de l’échec, la dépression, la frustration et l’insatisfaction, entraînant une baisse de performance, de créativité et d’attention envers les autres. Les conséquences psychologiques incluent une moindre capacité à évaluer l’environnement de travail, une tendance à imaginer des scénarios catastrophiques et une perte de confiance en soi.
Les signaux comportementaux sont également importants à identifier. Le stress peut entraîner un repli sur soi, un isolement, une diminution de la coopération et du partage, ainsi qu’une réticence à demander de l’aide. Il peut aussi provoquer des comportements agressifs, perturbant les relations et générant des conflits. L’hyperstress peut masquer ces signaux d’alerte, donnant l’impression de s’habituer à la situation. En réalité, la personne en stress chronique s’épuise progressivement jusqu’au burn-out. Pour identifier ces signaux, un manager doit être bien formé et être conscient de son risque de fatigue. Il doit être attentif à ses moindres performances et à celles de ses collaborateurs. Ce qui implique pour lui de connaître a minima les signaux de stress et de burn-out, et leurs mécanismes.
Comment un manager peut-il instaurer un environnement de travail propice à la réduction du stress pour ses collaborateurs ?
SLA. Le premier rôle du manager dans la gestion de l’environnement de travail est de réguler et simplifier la charge de travail, pour lui-même et pour ses équipes. Il doit être capable d’évaluer correctement et fréquemment la charge de travail des équipes et mettre en place des solutions adaptées. Il doit également veiller à l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle des collaborateurs, car la vie personnelle permet à chacun de se réguler et de se ressourcer. Le manager doit favoriser les pauses fréquentes plutôt que les pauses longues.
Les relations entre les individus sont également cruciales. Pour éviter que les collaborateurs ne basculent dans l’hyperstress, il est important de maintenir un soutien, en tant que manager ou collègue, en étant à l’écoute et bienveillant. Avant de proposer des solutions, il faut d’abord écouter et parfois se transformer en coach, en posant des questions et en écoutant activement. La reconnaissance est un autre élément clé pour prévenir l’hyperstress. Il est essentiel de fournir des feedbacks réguliers, positifs si possible, mais également constructifs. L’indifférence est néfaste pour un collaborateur. Une culture de la reconnaissance et de l’attention est nécessaire. De plus, il est important de donner de la latitude aux collaborateurs, en leur permettant d’agir sur leur périmètre et en leur confiant des responsabilités mesurées. Ces trois piliers sont primordiaux pour instaurer un environnement de travail sain et propice à la réduction du stress.
Le rôle du manager est-il également d’être exemplaire ?
SLA. Le manager doit en effet se protéger lui-même. Il doit d’abord prendre soin de lui-même, en prenant soin de son corps et de son esprit. Comme le stress peut être constant, il est essentiel de mettre le corps dans un état opposé, c’est-à-dire détendu. Les pauses sont cruciales, ainsi que des pratiques telles que la relaxation, le contrôle de la respiration et la méditation ; ces activités permettent d’atteindre un état physique différent de celui du stress. Ces outils sont très efficaces pour aider le manager à se déconnecter rapidement et à se ressourcer. En plus de l’aspect physique, le manager peut aussi travailler (notamment via le coaching) sur son mental en prenant du recul par rapport à son travail, en relativisant l’importance des situations, en étant présent émotionnellement, en adoptant une attitude positive et en cultivant l’optimisme. Cet état d’esprit est essentiel pour les collaborateurs, car il est communicatif et peut influencer positivement l’environnement de travail.
A lire aussi : Face au stress, “le manager doit créer un climat de sécurité psychologique”