Dans un contexte de marché de candidats, favorable à ces derniers, les recruteurs se heurtent à de grandes difficultés pour embaucher, avec un nombre d’emplois non pourvus qui atteint des niveaux record. Jean Pralong, professeur en RH digitales et gestion des carrières à l’école de commerce EM Normandie a cherché à en comprendre les raisons.
La chaire « Compétences, employabilité et décisions RH » de l’école de commerce EM Normandie a dévoilé, fin février, une étude qui met en avant le phénomène d’auto-élimination des candidats comme source de difficultés de recrutements pour les entreprises.
Et ce en partant du constat que selon l’Apec, « le volume des annonces d’emploi cadres a augmenté de 34 % en 2022. Or, un nombre significatif de ces offres d’emploi demeure non pourvu. On en prête les causes à l’inadéquation entre les dispositifs de formation et les besoins des entreprises, à une dynamique du marché qui créerait des exigences croissantes chez les candidats, ou des mutations sociétales qui auraient remis en cause la valeur travail. Au-delà de ces discours, pourquoi un candidat décide-t-il de répondre à une offre ? »
L’enquête souligne les niveaux record de postes restés vacants actuellement, alors que les règles du recrutement ont été peu modifiées et devraient changer « pour favoriser l’accès à l’emploi et pour ne pas se priver des compétences finalement moins rares qu’on le suppose. »
Dans la peau d’un candidat
Elle a observé le comportement de 165 comptables généralistes en recherche d’emploi, avec des compétences et des degrés d’ancienneté équivalents, mais aux carrières très différentes. Et 54 % de cet échantillon n’a pas répondu aux annonces qui leur étaient présentées, quand bien même elles correspondaient à leur profil et à leur lieu de résidence : « Lorsque les candidats estiment que ce processus peut leur être favorable, ils postulent. Lorsque les candidats craignent que ce processus leur soit défavorable, ils s’auto-éliminent. En moyenne, les individus ne postulent pas massivement, comme on tenterait sa chance en suivant une stratégie de volume. Ils semblent, au contraire, limiter leurs candidatures à celles qui ont de réelles chances d’aboutir – c’est-à-dire celles qui ont de réelles chances de franchir les étapes de la sélection par les recruteurs. »
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Jean Pralong, qui dirige la chaire « Compétences, employabilité et décisions RH » estime qu’il est « possible de désépaissir le brouillard dans lequel évoluent les candidats en mettant plus de transparence dans les process de recrutement, par exemple sur leur durée et les différentes étapes. Mais aussi en faisant appel à des tiers de confiance pour évaluer de manière objective les compétences des candidats, via des tests. » Et l’étude de préciser que « le recours à des outils d’évaluation digitalisés est ici une ressource : il permet de gagner en objectivité tout en permettant aux recruteurs de consacrer plus d’attention à l’expérience que vivent les candidats. »
Des processus de recrutement à repenser
Jean Pralong insiste sur l’importance de la création de valeur pour les candidats qui suivent le process de recrutement, même s’il n’aboutit pas en leur faveur : « Certes, trouver le bon profil afin de pourvoir un poste vacant est le premier objectif des recruteurs. Mais cela n’empêche pas de respecter tous les candidats, de leur donner des retours constructifs et donc de nouer une relation de proximité. Je me souviens d’une chargée de recrutement chez Renault qui disait : « On a envie que le candidat qui n’est pas retenu achète tout de même une Clio » ! Cela permet de garder un vivier de potentielles nouvelles recrues pour des embauches ultérieures. Mais aussi de faire en sorte que les profils non retenus recommandent tout de même à d’autres de postuler. Dans le recrutement, il y a plus de vaincus que de vainqueurs, mais il faut faire en sorte de ne pas considérer ni traiter les vaincus comme tels. »
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Le professeur en RH digitales et gestion des carrières établit une distinction entre marque employeur et marque métier pour attirer les talents : « La marque employeur, c’est une vision à une échelle trop macro. Il faut zoomer sur les points qui ont de l’intérêt pour le candidat, qui le renseignent sur les vraies questions qu’il se pose de manière pragmatique : que vais-je faire dans mon nouveau poste, avec qui et comment. Est-ce que ce sera dans une ambiance bienveillante, dans le respect de ma façon de travailler ? Vais-je avoir la liberté et les moyens d’agir ? Est-ce que ça va nourrir mon éthique professionnelle ? Voilà ce qui constitue la véritable quête de sens des collaborateurs. La vision macro, elle n’intervient que dans un second temps. »
L’importance des compétences comportementales
Selon Jean Pralong, il est aussi nécessaire d’opérer une différenciation entre évaluation des parcours et des compétences : « Il faut davantage tenir compte de ces dernières par rapport à ces premiers. Il convient de remettre le travail au centre. Les recruteurs sont souvent très experts de l’évaluation des parcours, mais moins sur le travail en lui-même : comment est-il vraiment exercé au quotidien ? »
D’où l’intérêt de reconnaître et valoriser les soft skills associées à l’exercice d’un métier : « D’autant plus que l’on développe beaucoup de compétences dans des cercles de vie qui ne sont pas forcément professionnels : l’associatif, le bénévolat, les loisirs ou le sport, poursuit-il. C’est de manière structurelle que les employeurs doivent apprendre à s’intéresser aux compétences. Cette évolution est indispensable pour créer les conditions d’un véritable engagement. Car la question qui se pose aux recruteurs n’est pas seulement comment embaucher mais surtout comment engager. Attirer les candidats, ce n’est qu’une vision à court terme… car cela les incite à être mobiles, en quittant leur poste précédent et cela les met donc dans une dynamique de changement. » Savoir attirer les talents, oui, mais les retenir aussi !