Aux côtés du burn-out, qui concerne l’épuisement professionnel, une autre pathologie liée au travail s’invite aujourd’hui dans les entreprises : le brown-out. Soit une baisse de courant psychique, une « démission » morale du salarié face à des missions qui lui paraissent vides de sens. Comment aider ces collaborateurs démotivés ? Réponse avec Noémie Le Menn, psychologue du travail et coach.
Comment définiriez-vous le brown-out ?
Il faut d’abord préciser que le brown-out, tout comme le burn-out ou le bore-out, sont davantage des syndromes que des maladies. Elles ne sont d’ailleurs pas reconnues comme des maladies par l’OMS. Ces pathologies sont encore un peu floues.
Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, est plus connu que les autres car il explose actuellement : il est le résultat d’un stress chronique, que la crise sanitaire a accentué chez beaucoup de salariés. Le brown-out, on en parle depuis une dizaine d’années : c’est l’anthropologue américain David Graeber qui l’a décrit le premier dans “Bullshit Jobs » (2013), avant que Mats Alvesson, enseignant en management à l’université de Lund en Suède, et André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School de Londres, le théorisent dans “The Stupidity Paradox” (2016). Ces chercheurs le définissent comme un désinvestissement progressif, causé par une “incompréhension totale” des tâches à accomplir – des missions qui paraissent “inutiles, absurdes, ou pire, nuisibles” au salarié concerné. Selon eux, ce phénomène serait en recrudescence, notamment de par l’évolution de certains métiers dont les actions sont de plus en plus déconnectées de leurs résultats.
Concrètement, comment cela se traduit-il ?
Les salariés en proie au brown-out se sentent inutiles et considèrent que leur job n’a plus de sens. Ce sentiment de vacuité, peu importe qu’elle soit réelle ou non, a des effets sur leur engagement, sur leur humeur, puis sur leur santé mentale ; jusqu’à les conduire à la dépression.
Parmi les signaux qui doivent alerter, on peut citer une baisse de résultats, des changements de comportement, un absentéisme plus important.
Existe-t-il des profils de salariés davantage à risque que d’autres ?
Est-ce une question de personnalité, de métier, d’organisation de travail ou de contexte ? Il me semble que tous ces facteurs se croisent.
Selon André Spicer et Mats Alvesson, le brown-out toucherait toutes les professions et tous les secteurs. Mais ceux qui sont d’un naturel passif et résigné, à cause d’une faible estime de soi, sont davantage concernés, car ils ne pensent pas avoir de pouvoir sur leur devenir professionnel. Ils ont un locus externe(1) qui les rend déterministes, voire fatalistes. Bien souvent, ils n’osent pas essayer d’améliorer leur job ou d’en changer.
La responsabilité de l’entreprise est aussi importante. Les managers qui traitent leurs collaborateurs comme des exécutants et qui ne leur donnent pas de vision (à quoi servent leurs tâches, qu’attend-on d’eux) participent à leur perte de sens, leur démotivation et leur désinvestissement.
Lire aussi : Brown-out : quand les salariés tombent malades à cause d’un travail vide de sens
Pour s’en sortir, s’agit-il de se lancer dans une démarche personnelle ?
Il y a en effet une dimension personnelle dans le brown-out : ainsi, il reste bien souvent possible de trouver tout seul du sens à ce que l’on fait et de changer d’état d’esprit. Il existe une fable où quelqu’un demande à des tailleurs de pierre de décrire ce qu’ils font : le premier répond qu’il casse des cailloux, le deuxième qu’il gagne de quoi nourrir sa famille et le troisième qu’il bâtit une cathédrale. Quel que soit notre métier, nous sommes parties prenantes dans le sens que nous lui donnons. Il y aurait donc un travail sur soi à faire : soit il est possible de chercher du sens dans son job et il faut le faire, soit il n’est pas possible de changer de regard et il faut alors se construire un autre projet professionnel. Donc changer d’entreprise, de secteur ou de métier. Il faut partir du principe que si quelque chose coince dans son travail, il y a toujours une solution.
Que peuvent faire les entreprises pour aider leurs salariés désinvestis ?
S’ils suspectent un cas de brown-out, les managers peuvent d’abord discuter avec le collaborateur et lui demander ce qu’il est possible de faire pour rendre son job plus épanouissant. Ensuite, ils ont aussi pour mission de transmettre à leurs équipes un certain enthousiasme : pour cela, dans leur discours, ils ne doivent pas hésiter à faire la part belle aux réussites collectives, aux projets en cours et futurs ou encore à l’impact positif de leur action sur la société en général.
Il reste évident qu’un management bienveillant, basé sur la confiance et l’autonomie, aura des effets positifs sur le bien-être et l’engagement des collaborateurs.
Et du côté des RH ?
Les ressources humaines peuvent accompagner les salariés désinvestis en leur proposant des formations, mais aussi en les aidant à quitter l’entreprise : une rupture conventionnelle n’est pas une catastrophe, dès lors qu’elle apporte un plus grand épanouissement à celui qui change de job.
Finalement, il est possible d’affirmer que l’entreprise devrait adopter cette attitude, tout autant pour lutter contre le brown-out, que contre le burn-out ou le bore-out. Dans la mesure où, dès lors qu’il s’agit de santé mentale, elle doit tout faire pour que ses salariés soient le plus épanouis possible dans leur travail. Sachant aussi, donc, que les collaborateurs eux-mêmes peuvent s’approprier leur épanouissement.
(1) En psychologie, un individu avec un « locus » (lieu de contrôle) externe pense que ce qui lui arrive est dû à des facteurs extérieurs, qui ne dépendent pas de lui ; tandis que celui ayant un locus interne croit que sa performance ou son sort dépendent surtout de lui-même.