Aux côtés du burn-out et du bore-out, une nouvelle pathologie liée au travail s’invite de plus en plus dans les entreprises : le brown-out. Une terminologie anglaise, qui signifie “baisse de courant” psychique, et qui reflète la démission des individus face à des missions qui leur paraissent inutiles, voire néfastes.
Actuellement, 3,2 millions de salariés français seraient “en risque élevé de burn-out”, selon le cabinet Technologia, spécialisé en prévention des risques psychosociaux. Dans le même temps, aux côtés de ce “syndrôme d’épuisement professionnel”, qui se caractérise selon l’INRS par une intense fatigue émotionnelle et un sentiment de non-accomplissement personnel au travail, sont apparues deux autres “pathologies” : le “bore-out” et le “brown-out”. Dans le premier cas, le travailleur tombe malade, non pas à cause d’une surcharge de travail, mais à force d’être sous-employé. Dans le second, le salarié plonge dans un état dépressif parce qu’il ne comprend plus le sens de son travail.
Des missions “inutiles, absurdes, ou pire, nuisibles”
Le terme “brown-out” (qui signifie littéralement “baisse de courant” psychique) a été théorisé en 2016 par Mats Alvesson, enseignant en management à l’université de Lund en Suède, et André Spicer, professeur en comportement organisationnel à la Cass Business School de la City University de Londres. Dans “The Stupidity Paradox” (Profile Books), les chercheurs décrivent le désinvestissement progressif d’un grand nombre de salariés, causé par une “incompréhension totale” des tâches à accomplir – des missions qui leur paraissent “inutiles, absurdes, ou pire, nuisibles”.
À force de réaliser des actions en déficit de sens (telles que celles décrites dès 2013 par l’anthropologue américain David Graeber dans “Bullshit Jobs”) heurtant leurs valeurs personnelles, nombre “de ces individus intelligents décrivent leur emploi comme stupide”, décrivent Alvesson et Spicer, et “démissionnent” intérieurement. Blasés, abattus, voire dégoûtés par l’absurdité de leurs actes (par exemple, mentir et “faire la danse du Powerpoint pour tenter d’hypnotiser les clients”, ou défendre des projets néfastes pour autrui), les salariés quittent leur entreprise, se désengagent, ou finissent par tomber malades.
Des salariés qui “s’effondrent à cause d’un conflit éthique”
Selon André Spicer et Mats Alvesson, le brown-out toucherait toutes les professions et tous les secteurs. Cette démotivation lente et intense, Marc Estat, ancien cadre dirigeant d’une grande société et auteur de “Néantreprise” (Favre, 2017), nous la décrit comme “le fait de ne pas comprendre pourquoi, pour qui et à quelle fin on effectue une tâche, qui ne peut aboutir qu’à une démission de chaque individu, soit contractuelle, soit morale”.
Marie Pezé, psychanalyste et fondatrice du réseau “Souffrance et Travail”, qui regroupe 140 consultations dédiées à la souffrance au travail, s’oppose farouchement aux terminologies anglaises “burn-out”, “bore out” et “brown-out”, qui selon elle n’ont aucun sens. “Le burn-out est un concept poubelle dans lequel on met tout et n’importe quoi : mieux vaut parler d’épuisement professionnel. Le bore-out, de son côté, n’est rien d’autre que du harcèlement moral. Quant au brown-out, il est déjà décrit depuis plus de dix ans dans l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels), qui parle de la souffrance des salariés français qui ne peuvent pas faire correctement leur travail, et qui s’effondrent à cause d’un conflit éthique”.
Reste que ce phénomène, quel que soit son nom, traduit un problème de fond, inhérent au monde de l’entreprise. “Cette pathologie, finalement très proche du burn-out et du bore-out, est liée au travail moderne, à une injonction à être heureux dans son job, avec en parallèle une très forte pression, une mise en concurrence, l’absence de collectif, une rigidité hiérarchique et un manque de possibilités de s’investir dans ses missions, de peser sur la définition des objectifs et des moyens pour y arriver. Il y a clairement un lien entre les tâches imposées au salarié et une organisation du travail défaillante”, conclut Danièle Linhart, sociologue du travail, chercheuse au CNRS et professeure à l’université de Paris X.