Soumises à l’obligation de féminiser leurs effectifs, toutes les entreprises n’ont pas le même degré d’implication. Réseau féminin, politique de parentalité, travail en faveur de l’égalité salariale… Les avancées dépendent souvent de l’engagement personnel du dirigeant*.
L’écart salarial entre hommes et femmes a baissé depuis 2008, selon une étude de l’Insee. Il reste néanmoins encore significatif. En 2011 une salariée gagnait en moyenne (en équivalent temps plein) 19,3 % de moins que son homologue masculin. Cet écart s’explique en partie par le fait qu’à emploi comparable, les femmes restent moins bien payées. À secteur d’activité, âge, catégorie socioprofessionnelle et conditions d’emploi égaux en effet, la différence était encore de 10,6 %… Néanmoins, l’écart général s’explique aussi par le fait que les femmes n’occupent pas les mêmes postes que les hommes. En 2011, elles représentaient 35,7 % de l’effectif des cadres (Insee, octobre 2013). Elles incarnaient en revanche 67,6 % des salariés à temps non complet. Pour renverser la tendance, des entreprises ont décidé de s’investir de manière active. Sixième dans le classement du palmarès des sociétés qui fournissent le plus d’efforts en termes de féminisation de leurs instances dirigeantes (voir encadré), Sodexo doit ce résultat à l’engagement de Michel Landel, directeur général de la société depuis 2005. “Comme il avait travaillé aux États-Unis, il était revenu avec une certaine vision de la diversité, explique Jean-Michel Monnot, vice-président et directeur de la diversité Europe du groupe. Il a souhaité créer, dès son arrivée, une direction vouée à renforcer la diversité au sein du groupe dans un rapport aussi bien qualitatif qu’inclusif.” La première action a consisté à dresser un état des lieux de la mixité. Sur les 320 000 salariés de l’époque, il était observé un bon équilibre entre les hommes (46 %) et les femmes (54 %). En revanche, comme dans bien des sociétés, plus on montait dans la hiérarchie ou plus on regardait du côté des postes opérationnels, et plus le nombre d’hommes était supérieur à celui des femmes. C’était notamment vrai sur les postes de directeur régional, chargé des 35 000 sites répartis sur 80 pays. “En 2005, sur tous les niveaux de management, les femmes représentaient 40 % de l’effectif. Dans le conseil d’administration, elles étaient 20 % et 20 % également dans le Comex.” Sur les 300 principaux postes de direction, elles représentaient en revanche 16 % des salariés. “Un premier objectif a consisté à porter ce taux à 25 % d’ici 2015, explique-t-il. Aujourd’hui, nous en sommes à 23 %.” Cette politique de féminisation des têtes dirigeantes est aussi portée par un souci de performance. “On ne pourra pas dire qu’on a les meilleurs collaborateurs s’il n’y a pas un équilibre dans les talents recrutés et sans allouer des ressources nécessaires pour y parvenir.” Or, aux yeux de Jean-Michel Monnot, une politique de diversité ne peut réussir que si elle est rendue visible au sein de l’entreprise et s’il y a des personnes pour mettre en œuvre la stratégie, objectifs à la clé et avec mesure des progrès. Quatre grandes directions ont donc été définies pour donner corps à cet engagement. Un plan de formation des managers a été organisé, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Il consistait à expliquer ce que veut dire la diversité et ce que cela faisait de ressentir l’exclusion. 30 000 ateliers d’une journée ont été formulés, adaptés aux spécificités des différents pays d’implantation de l’entreprise. “La féminisation de l’équipe doit devenir un objectif personnel du manager. C’est à lui de choisir les candidates les plus performantes pour la réussite de ses missions, avec répercussion sur le salaire si l’objectif n’est pas atteint.”
Former les talents féminins
Les autres grands axes ont consisté en un programme spécialisé pour le développement des talents féminins au niveau individuel et en une action de mentoring présent dans une quinzaine de pays et qui s’est progressivement ouvert aux hommes. Enfin, la quatrième action a concerné la flexibilité et l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle. À la suite de ces différentes mesures, la féminisation des instances du groupe s’est réalisée, bien que plus ou moins rapidement en fonction de l’implication du dirigeant à la tête de chaque instance. “Par exemple en Inde, sur les 35 000 salariés, il y avait 10 % de femmes en tout. En cinq ans, le dirigeant local a réussi à porter ce nombre à plus de 17 % et deux femmes font partie du Comex, alors que le travail des femmes n’est pas toujours bien vu dans la culture indienne.”
Pour aider les cadres féminins dans la gestion de leur carrière, des entreprises ont fait le choix de se baser d’abord sur la prise de confiance personnelle, notamment en s’appuyant sur la création d’un réseau féminin. Cela a été le cas par exemple à la Caisse des dépôts. Anne de Blignières, conseillère du comité de direction en charge de la parité, y a créé en 2011 Alter’égales, qu’elle préside aujourd’hui. “Le lancement du réseau a été l’un des trois leviers mis en place par l’entreprise pour féminiser son effectif et son équipe dirigeante”, explique la présidente. L’objectif du réseau consistait à dépasser l’objectif prévu par la loi Zimmermann-Copé qui datait de cette même année, c’est-à-dire porter à 40 % le taux de femmes dans le conseil d’administration d’ici 2017. Alter’égales espère atteindre ce taux dès 2016. “Le directeur général, Jean-Pierre Jouyet, s’est engagé dans cette voie dès sa nomination en été 2012, et il a appuyé ma démarche. Un observatoire a d’abord été créé pour mesurer les progrès accomplis. La société s’est donné pour objectif de faire attention à ne pas recruter que des hommes en externe, à repérer un vivier de femmes cadres à potentiel pour leur attribuer des mandats sociaux et à veiller à l’engagement de toutes les directions de ressources humaines.” Le groupe a demandé aux patrons ou directeurs de filiales de détecter les femmes susceptibles d’endosser des responsabilités. Une formation qualifiante au sein de l’Institut français des administrateurs a ainsi été programmée pour les 199 mandatrices femmes et les 160 salariées identifiées comme ayant de fortes compétences. Cette formation avait pour but de faire connaître les fonctions des mandataires. Elle a par la suite été ouverte
aux hommes à potentiel, preuve, s’il en est, que les programmes en direction de plus de parité bénéficient à toute l’entreprise…
Dénicher les talents
Alter’égales compte aujourd’hui environ 1 500 membres, soit 30 % des femmes cadres du groupe. Le réseau permet de mettre en visibilité les femmes et de partager sur ses évolutions professionnelles. Les hommes sont invités à devenir membres s’ils le souhaitent. “Le réseau sert aussi de Think Tank sur des points stratégiques de l’entreprise, par exemple quel est le regard des femmes sur le viager, etc.” Alter’égales développe également un programme de mentorat. “Il se réalise sous la forme de binôme. Il s’agit d’un accompagnement mais aussi d’un échange et s’organise autour de cinq thématiques : arriver dans une nouvelle entité, l’intérêt pour un autre métier, le mandat administratif, se projeter dans la vie professionnelle et comment rebondir après une période difficile.” Le réseau fonctionne selon un maillage national et en relation avec d’autres réseaux féminins.
En vue d’aller plus loin dans son engagement, le directeur général de la Caisse des dépôts vient de signer une convention cadre avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes, pour aller vers plus d’égalité professionnelle. Outre les 40 % des femmes mandataires en 2016, l’entreprise s’engage à ce que la part des cadres féminins dans les comités de direction privés représente 30 %, et qu’elle soit de 36 % dans les comités de direction publics. La Caisse des dépôts travaille enfin sur un dernier vivier, qui concerne les femmes mais pas seulement : celui des talents de 37 à 40 ans. “L’entreprise cherche à repérer, parmi ses collaborateurs, ceux qui n’ont pas encore été identifiés comme potentiels talents, par exemple parce qu’ils se sont dédiés à leur vie familiale.” Ces talents une fois dénichés pourront suivre un cursus à l’université de la Caisse des dépôts pour se former sur des postes de cadres dirigeants.
Égalité salariale
La féminisation de la gouvernance n’est pas le seul enjeu sur lequel les entreprises doivent travailler, même si la parité doit d’abord en passer par une juste répartition des effectifs. Pour être qualitative et non seulement quantitative, la féminisation de l’entreprise doit se traduire aussi par une rémunération équitable entre hommes et femmes. Orange, première entreprise du palmarès des sociétés les plus engagées dans la féminisation de leur effectif, s’est attelé à cette tâche. Le groupe réalise régulièrement des diagnostics dans ses principaux pays d’implantation et met en place des budgets spécifiques pour corriger d’éventuels écarts de salaires individuels identifiés, à niveaux équivalents de responsabilités et d’ancienneté. Un réseau de responsables rétribution est chargé d’analyser et de réduire les écarts salariaux localement. Selon le service de communication d’Orange, ce travail de surveillance porterait ses fruits : “À ancienneté et niveau de responsabilité comparables, les écarts de salaires sont minimes : en 2012 en France, le rapport de salaire femmes/ hommes était de 98,3 % (contre 98,1 % en 2010).”
Eve : un programme inter-entreprise
L’intégration progressive des femmes à la tête des entreprises demande un changement de mentalité qui concerne le monde du travail et toute la société en général. Pour ce faire, la collaboration des entreprises entre elles n’a rien d’un luxe. Lancé à l’initiative de Danone en 2010, le Programme Eve ambitionne de travailler à renforcer le leadership féminin des différentes entreprises participantes. Il prend la forme d’un séminaire de trois jours, qui se déroule à Évian, avec séances plénières et ateliers. “Il s’agit de travailler à une prise de conscience des femmes mais aussi des hommes et d’un travail de confiance, explique Anne Thevenet-Abitbol, directrice des projets et nouveaux concepts chez Danone. Cette année, le séminaire portait sur le thème : oser être soi pour agir. Il fallait réfléchir sur la manière de travailler tout en restant alignés sur nos propres valeurs et non pas de s’exécuter comme de bons petits soldats.” Dès la première édition, le programme comptait comme partenaires officiels des entreprises qui ont déjà mis en place des pratiques pour favoriser l’évolution des femmes au sein de leurs établissements : SA, la SNCF, KPMG, L’Oréal et Orange. Chacune envoie chaque année 30 participantes. D’autres entreprises envoient un nombre inférieur de leurs salariées : 20 pour Google, par exemple, 10 pour Essilor ou Accor. Au total, 350 personnes au maximum sont accueillies le temps du programme. Quelques hommes sont également conviés. “L’objectif consiste à faire de ces participants des ambassadeurs du travail effectué lors du séminaire. Quand ils reviennent dans leurs entreprises, les salariés sont davantage acteurs. De la même manière, les entreprises qui envoient leurs personnels s’engagent à changer leur fonctionnement. Par exemple, chez Danone, un responsable des ressources humaines ne peut plus accepter que, sur une liste de 8 candidats potentiels pour un poste, il ne figure aucune femme.”
*Article publié dans le numéro de décembre-janvier de Courrier Cadres.